jeudi 31 octobre 2013

Rép. Dominicaine, dénaturalisation et compétences de la CIDH

L’Arrêt de la Cour Constitutionnelle devant la CIDH
Et Solidarités de St-Vincent 
et de citoyens argentins

Par le GARR (Haïti)

« Personne ne peut être privée de sa nationalité et il se pose de ce fait, un problème de droits humains. », estime le secrétaire général de l’OEA, Jose Miguel Insulza  suite à une session ordinaire du Conseil Permanent de l’organisme hémisphérique où la récente décision de la Cour Constitutionnelle dominicaine a été examinée, le 29 octobre 2013, à Washington.

"En même temps, nous sommes en face d’un problème institutionnel", a poursuivi le secrétaire général"

L’Organisation des Etats Américains est régie par la Charte Démocratique Interaméricaine qui, entre autres choses, institutionnalise l’Etat de Droit et le respect de l’indépendance des pouvoirs de l’Etat, et dans ce cas, il ne fait aucun doute que cette sentence a été prononcée par la Cour Constitutionnelle d’un Etat en vertu de son propre ordre juridique interne. 
 Je crois donc que cela fait face au système de droits humains et par conséquent, ce dossier relève proprement de la compétence de la Commission et de la Cour Interaméricaine ». (Communiqué du Conseil Permanent de l’OEA – 29/10/13 - Ref: C-406/13)
Pour sa part, le conseiller juridique du Pouvoir Exécutif de la République Dominicaine, Cesar Ramón Piňa Toribio, a soutenu que son gouvernement a toujours développé des relations de profond respect et de fraternité avec les nations sœurs et spécialement avec la République d’Haïti. 
 « Nous voulons souligner que l’Etat dominicain ne permettra pas que soient violés les droits fondamentaux des personnes qui sont couvertes par nos lois ni comme conséquence de cette sentence ni d’aucune autre » a-t-il ajouté.
Toujours selon la même source, le conseiller Toribio, parlant au nom du gouvernement dominicain a déclaré que « pour optimiser les résultats, nous sommes dans la meilleure disposition de recevoir l’accompagnement des pays et organismes internationaux qui décident de nous appuyer dans cette tâche».
Quant au représentant permanent d’Haïti auprès de l’OEA,  l’ambassadeur Duly Brutus, il a appelé les Etats-membres de l’Organisation hémisphérique à trouver une solution au problème, affirmant que « l’OEA a toujours été à l’avant-garde dès qu’il s’agit de défendre les intérêts des sans-voix».
Durant les débats autour de l’arrêt de la Cour Constitutionnelle dominicaine, Haïti a pu compter sur l’appui explicite de la Communauté Caribéenne (CARICOM) dont la porte-parole en la circonstance était la représentante permanente de Saint Vincent et Grenadines, l’ambassadrice 
 La Celia Prince. « C’est une question interne qui nous intéresse car elle affecte directement la vie d’autres êtres humains, citoyens de notre Hémisphère et plus spécifiquement, de notre diaspora », a-t-elle argumenté.
Cette session du 29 octobre 2013 au Conseil Permanent de l’Organisation des Etats Américains sur la dénationalisation qui menace plusieurs dizaines de milliers de citoyennes et citoyens dominicains d’ascendance haïtienne en République Dominicaine se situe dans le prolongement des multiples réactions suscitées par l’arrêt de la Cour Constitutionnelle, le 23 septembre écoulé.
Deux semaines environ après sa publication, la Commission Interaméricaine des Droits de l’Homme s’était prononcée sur l’arrêt en ces termes : 

« Cette décision de la Cour Constitutionnelle va à l’encontre de toutes les déclarations de la Commission et viole les obligations internationales de l’Etat dominicain en matière de droits humains. En outre, la décision de la Cour Constitutionnelle jette un doute  sur la volonté de l'Etat pour répondre à ses engagements internationaux et aux appels lancés par les organismes régionaux et internationaux des droits de l'homme». (IACHR -Expresses Deep Concern…/ 8/10/13)

Lettre de Saint-Vincent au président dominicain : 

La souveraineté ne peut être invoquée lorsque les principes de droits humains sont foulés aux pieds 

Premier Ministre de Saint-Vincent
Ci-joint l’intégralité de la lettre :


Le gouvernement et le peuple de Saint Vincent et Grenadines sont profondément consternés du récent jugement du Tribunal Constitutionnel dominicain, niant la citoyenneté à des personnes d’ascendance haïtienne nées en République Dominicaine. Cette décision du Tribunal, en fait, laisse sans patrie un nombre élevé de personnes d’ascendance haïtienne.

A coup sûr, cette décision de la Cour est inacceptable dans n’importe quelle société civilisée. C’est une offense à toutes les normes internationales établies, aux principes élémentaires d’humanité, et elle menace de faire de la République Dominicaine un Etat-paria au niveau régional et mondial.

Cette décision porte atteinte aux engagements internationaux de droits humains inscrits dans les diverses conventions et traités internationaux et hémisphériques auxquels la République Dominicaine est un Etat-partie.

Comme vous le savez sans doute, la sentence du Tribunal est en train d’être amplement interprétée au niveau international comme l’expression d’une mentalité anti-haïtienne voire raciste étant donné que la plupart des personnes privées de leur citoyenneté de naissance sont noires de peau.

Par conséquent, il incombe au gouvernement et au peuple dominicains d’examiner avec méfiance la décision du Tribunal Constitutionnel et de s’engager sans tarder et de manière pratique à l’application des mesures correctives nécessaires, en conformité avec les  obligations internationales.

Sous votre leadership et celui de votre distingué prédécesseur, la République Dominicaine a effectué des avancées louables pour rehausser l’image du pays au sein de la communauté régionale et internationale et pour effacer le souvenir de certains errements du passé.

Votre république est un membre important du CARIFORUM et se trouve dans un processus d’adhésion  à la  CARICOM,  dont Haïti est déjà membre à part entière. L’impact négatif réel et improductif sur ces relations régionales et d’autres sautent aux yeux.

Le Secrétaire Général de la CARICOM s’est exprimé avec sagesse et publiquement contre la décision de la Cour constitutionnelle. De même l’ont fait d’éminentes personnalités issues des Etats-membres de la CARICOM dont Monsieur P.J. Patterson, ex-premier ministre de la Jamaïque et fidèle ami d’Haïti et de la République Dominicaine.

D’aucuns  dans votre pays pourraient bien considérer tout cela comme une ingérence indue dans les affaires internes de la République Dominicaine. A l’évidence, il n’en est rien ! La feuille de vigne de la souveraineté ne peut être invoquée lorsque les principes consacrés et universels de la citoyenneté et de la dignité humaine sont foulés aux pieds.

Ces principes dépassent les limites territoriales d’un Etat : ils sont essentiels pour l’humanité. En outre, votre pays est lié par des obligations internationales. Je regrette que les circonstances m’aient obligé à écrire avec vigueur sur ce dossier. Je vous assure que mon langage est sobre et n’exprime pas pleinement mon indignation personnelle. 


Lettre d'associations et personnalités Argentines au Président Dominicain :
Des organisations argentines se joignent à la revendication de justice contre la décision dominicaine qui risque de dénaturaliser quatre générations de Dominicains-es d’ascendance haïtienne :

Des organisations sociales et institutions argentines de droits humains réclament du président de la République Dominicaine Danilo Médina, l’adoption de mesures en vue d’inverser  les conséquences d’une décision récente du Tribunal Constitutionnel de ce pays, pour éviter la dénationalisation de quatre générations de Dominicains et Dominicaines majoritairement d’ascendance haïtienne.

En tête de liste des signataires de cette correspondance figurent le Prix Nobel de la Paix, Adolfo Pérez Esquivel et les initiatrices du Mouvement des Mères de la Place de Mai, Nora Cortiñas y Mirta Baravalle. 

Ci-joint l’intégralité de la lettre adressée au président dominicain Danilo Médina :

Monsieur le Président Danilo Medina,

Recevez, en premier lieu, les salutations des organisations et entités soussignées reconnues en Argentine pour leur défense des droits humains, leur lutte pour atteindre le plein respect des personnes- qui, pour diverses raisons, ont émigré ou ont été obligées de quitter leur pays,- et leur engagement plus général dans la construction de conditions de vie dignes pour tous les peuples de notre Amérique.

Nous nous adressons à vous, en cette occasion, pour exprimer notre condamnation ferme des termes du jugement no 168/13 de la Cour constitutionnelle de la République Dominicaine, et pour vous demander d’adopter les mesures nécessaires pour aboutir au plein exercice des droits humains fondamentaux  et à une solution juste en faveur des dizaines de milliers de personnes, dans leur grande majorité d’ascendance haïtienne, et dont le quotidien comme citoyens et citoyennes dominicains est mis en suspens par cette sentence.

Nous faisons nôtres les considérations, dénonciations et demandes réalisées par des collectifs conséquents d’organisations sociales et de droits humains dominicains et haitiens, à travers des correspondances respectives adressées à votre gouvernement, les 1er et 3 octobre 2013, et dont nous transmettons copies en annexe.

Nous y ajoutons notre préoccupation particulière quant à la possibilité que cette situation, si elle n'est pas rectifiée à court terme, déborde en de nouveaux abus contre le peuple haïtien qui subit sur son propre territoire une situation d’occupation militaire et d’atteinte systématique à ses droits humains les plus fondamentaux.

C’est dans ce contexte et dans le but de promouvoir la pleine jouissance des droits humains de toutes les personnes habitant l’ile et de favoriser la coexistence et l’intégration pacifiques entre des peuples rendus frères par leur proximité, leur histoire, leurs cultures et leur désir commun d’un présent et d’un futur dignes pour tous et toutes, que nous sollicitons respectueusement votre urgente attention et action.