dimanche 8 septembre 2013

Colombie, accords et dialogue avec le monde agricole ?

 Vers une fin 
de la grève nationale 
"agraire" en Colombie ?

Par Lionel Mesnard

Après 19 jours de grèves de divers secteurs agricoles, un accord en six points a été conclu dans les 4 départements les plus touchés par les blocages routiers opérés par les petits exploitants agricoles colombiens (Boyaca, Cundinamarca, Nariño et Huila). De même, après les sérieux affrontements intervenus jeudi dernier sur la route Panaméricaine dans le département du Cauca, le vice-président colombien ira dialoguer avec les autorités représentatives des populations autochtones à Popayan dans le sud du pays, notamment avec les responsables du Conseil Régional des Amérindiens du Cauca (CRIC en espagnol).

Dans le Cauca, en début de semaine, 10.000 hommes, femmes et enfants (en majorité d’origine amérindienne) avaient engagé un rassemblement et prévu une marche sur la route Panaméricaine. 

Il est a déploré des blessés et deux morts, dont Monsieur Víctor Alfonso Ortega, suite à un tir reçu en plein dans sa boîte crânienne, selon le médecin légiste de la clinique de Popayan. 

Il a fallu près de deux jours pour connaître un nom de victime et le nombre réel des blessés, la télévision Caracol n’hésitant pas à annoncer, qu’il n’y avait eu aucun mort dans le Cauca, quand par ailleurs d’autres sources faisaient part de 4 morts, dont un enfant. Le déploiement de force par blindés, hélicoptères et des forces de l’ordre armées jusqu’aux dents, se sont déployés avec une violence ahurissante et ils ont provoqué une véritable panique et une dizaine de marcheurs ont été blessés par des projectiles létaux ou mortels. Sinon, il est à noter l’usage des gaz lacrymogène en de très grande quantité a été utilisé et sans discernement.

Les éléments qu’en donnent les autorités du CRIC sont à ce titre très clairs sur la disproportion des forces engagées contre de petits paysans ou travailleurs originaires (102 morts en 2012), qui sont malheureusement les victimes régulières de crimes par tirs létaux et avec le silence ou l’assentiment des pouvoirs publics.

Les populations autochtones, noires doublement victime par ailleurs du conflit armé entre l’armée nationale et les FARC. (Lire la déclaration du CRIC par après…). Le Cauca au sud de la Colombie et plus largement la région est d’une très grande diversité culturelle et aussi l’objet de conflits autour des terres et territoires amérindiens ou appartenant aux afro-colombiens et aux familles des petits colons très fortement métissés, une Colombie qui tranche avec les élites politiques et les présentatrices blondinettes des journaux télévisés.

En raison de la récente décision d’établir un état de siège militaire (Fuero Penal Militar) contre les mouvements sociaux faisant barrages sur les routes, 50.000 militaires ont été déployés à cet effet dans tout le pays, en plus des escadrons de l’ESMAD, dont certaines voix se sont élevées pour demander leur dissolution, et dont les preuves de ses actions malveillantes ont été constatées par des vidéos, des photos, et elles ont abondamment circulé sur les réseaux sociaux.

Une expression populaire transmise par divers canaux alternatifs ou citoyens, qui à leur manière luttent contre le blocus des médias de masse et les discours dominants en transmettant une information le plus souvent à la hauteur des séquelles et traumatismes sans fins survenant de nord en sud du pays.

Depuis cette décision du gouvernement de militarisation du pays contre la population civile y compris urbaine, la répression n’a fait que redoubler. Finalement après avoir nier les problèmes, c’est-à-dire été déclaré par Juan Manuel Santos, que la grève des paysans n’existait pas suite à 11 jours de paralysie, puis après avoir effectué le remplacement de 4 ministres clefs du gouvernement colombien (à l’armée, Monsieur Pinzon notamment), et surtout suite une chute vertigineuse des sondages du président à 22% d’intentions favorables, retournement de la situation.

Après les coups de bâtons et l’usage rapide de la matraque, le gouvernement sort la carotte et a engagé des négociations qui lui sont finalement imposées par une majorité de l’opinion publique. Et ce que déteste avant tout le pouvoir colombien serait un écho à l’international négatif. A ce sujet, le soutien des gouvernements dits de gauche ou révolutionnaires en Amérique latine se fait encore attendre, la bonne soupe des complots est bien plus profitable, qu’un soutien à un peuple aux aboies depuis des décennies.

Peu à peu le volcan social qui a agité toute la Colombie ces 3 dernières semaines va souhaitons-le se faire entendre, mais le processus de mise en application des mesures ne prendra effet qu’après des réunions qui se tiendront la semaine suivante et dont rien n’assure qu’elles déboucheront sur une fin du mouvement social.

Depuis 30 ans, la Colombie n’avait pas connu une telle colère civile, mais à force d’oublier les évidences et d’avoir des politiques publiques inappropriées à l’ouverture à tous vents des marchés, le président Santos est enfin revenu à un peu de sagesse ou de lucidité. Et oui la démocratie est un difficile exercice, et si ces messieurs de la Havane pouvaient parvenir à un accord et surtout à un arrêt des combats, oui cela pourrait engager le début de quelque chose en rupture avec le passé.

Mais un pays qui a vécu dans le silence des tourmentes depuis l’invasion ou la conquête des Espagnols a laissé les plus fragiles économiquement sur le bord de la route, soit pratiquement 50% de la population vivant avec des salaires ou revenus miséreux, pour qu’il soit pris en compte le marché intérieur et une véritable amélioration des revenus des prolétaires colombiens.

Ces trois semaines de conflits sociaux auront mis sur le devant de la scène toute la difficulté du gouvernement de Juan Manuel Santos a dialogué et à savoir négocié avec les forces vives du pays, avant d’envoyer ses escadrons antiémeutes réputées pour leur violence disproportionnée et manifeste.

Des dizaines d’arrestations, des blessés par dizaines aussi et de chaque part, mais sans qu’il soit fait part de blessure par arme à feu, au moins 6 morts de civils (dont 2 jeunes tués à bout portant à Bogota en marge de la manifestation étudiante dans la capitale) et un policier est décédé. 

Sans parler des combats, des villages ou hameaux menacés par les paramilitaires, dont il est fait mention nulle part en dehors des ONG colombiennes ou organismes de surveillance des Nations Unies.

Parent pauvre de l’information, la Colombie, reste à la lecture des informations internationales trop souvent en décalage avec le quotidien d’une population soumise à des conditions qui vont de la faim à l’absence de politique sanitaire visant à éradiquer une misère endémique notamment dans les campagnes, mais aussi dans les périphéries urbaines. Dont la cause principale est la sauvagerie des oligarchies colombiennes et depuis 50 ans par le biais des mafias et de ses illustres paramilitaires dont certains sont en prison aux Etats-Unis pour trafic illégal de stupéfiant, à l’exemple de l’ancien chef paramilitaire des AUC , Salvatore Mancuso.

Messieurs du gouvernement, que cesse la guerre au peuple colombien !

Le Conseil Régional Autochtone du Cauca – CRIC – condamne le traitement de guerre que le gouvernement donne à la protestation et la mobilisation sociale et dénonce devant l’opinion publique et la communauté internationale l’usage d’armes létales contre les manifestants dans le district de Mojarras (commune de Mercaderes, département du Cauca), sur la route  Panaméricaine, le jeudi 5 septembre 2013.

Bien que nous sachions pas encore toute la gravité des faits, nous avons connaissance et la confirmation d’un paysan mort et de 28 blessés par balle, l’argument consistant à assurer la circulation sur les routes, n’est pas un indicateur de démocratie et de respect des droits humains de la part de l’Etat Colombien. Sinon pour le moins, un indicateur de militarisation de la vie civile et de perte de la continuité constitutionnelle s’agissant du respect de la vie et de l’intégrité personnelle, comme droit fondamental.

Il n’est pas possible d’agir contre une mobilisation sociale, comme s’il en était d’un combat militaire. La population civile doit être respectée, ainsi que les principes de distinction et de proportionnalité. La Force publique ne peut agir en territoires autochtones, paysans, afro-colombiens, ruraux et urbains, comme une armée d’invasion.

Le gouvernement du président Santos a dit qu’il était disposé à travailler sur les politiques publiques concernant les campagnes colombiennes de manière concertée avec les paysans et de même avec les secteurs agraires; mais après avoir dit ceci devant la nation, il s’est mis à traiter de façon brutale ceux qui exigent leurs droits, en niant leur humanité et leur dignité.

Mauvais précédent pour commencer un dialogue avec le monde agricole colombien, de cette manière, il laisse un message clair devant l’opinion publique nationale, dans le sens que le gouvernement cherche à en finir avec la mobilisation sociale et à empêcher les transformations de la politique publique et du modèle de développement.

La vie ne se négocie pas dans les réunions mises en place par le gouvernement de l’Etat, ni en dans aucun autre scénario. La vie est sacrée. Les droits fondamentaux sont les minimums constitutionnels qui garantissent que nous vivons dans un Etat de droit social et pas à l’intérieur d’un « Etat » de fait.

Nous appelons les organisations sociales du pays, pour que nous travaillions  à la réussite de l’Unité Populaire, que nous défendons de manière forte - et vous décidez de nos droits – pendant que nous continuons à exercer une mobilisation sociale et une protestation, comme unique alternative possible que vous nous laisser devant l’arrogance, l’imposition et les actions inconstitutionnelles des secteurs dominants dans le pays.

Dans le département du Cauca, nous exigeons de l’exécutif départemental, du  Défenseur du Peuple, des mairies et membres statutaires du Sud du Cauca et du Nord du département de Nariño, que soit accompli avec leurs fonctions, les garanties de la protection des droits humains et de la constitution dans ses différentes juridictions.

Le gouvernement colombien  ne peut  transformer nos départements en scènes de guerre, ni la population comme un de ses objectifs militaires.

Ville de Popayán, le 6 septembre 2013







Source : CRIC - COLOMBIA