mercredi 21 août 2013

Porto-Rico, abolition impossible de la peine de mort ?

La question complexe 
de la peine de mort imposée 
par les Etats-Unis


Par Periodismo Ciudadano · Traduction de Céline Arnoldi  

Pendant le 5ème Congrès contre la peine de mort, qui s'est tenu récemment à Madrid, en Espagne, les participants se sont réunis pour discuter du cas de Porto Rico. Au cours de la troisième et dernière partie à laquelle ont participé le site Periodismo Ciudadano (PC) [es, comme tous les liens suivants] et Global Voices en espagnol, Elisa Moreno Gil, de PC, interroge des avocats et activistes porto-ricains pour comprendre la situation actuelle du pays caribéen, par rapport à l'imposition de la peine de mort par la Cour Fédérale. Etant donné son histoire coloniale et ses liens actuels avec les Etats-Unis, son système politique ‘d'Etat libre associé’ au Etats-Unis ne permet pas à Porto Rico le plein exercice du second article de sa Constitution, qui prévoit l'abolition de la peine de mort.

Afin de connaître les idées et opinions sur la situation compliquée de Porto Rico, sur  la peine capitale, lors du 5ème Congrès Mondial Contre la Peine de Mort qui s'est tenu à Madrid, nous avons interrogé quelques intervenants : Carmelo Campos Cruz, Président de la Commission des Droits des victime de Délits formé par l'Ordre des Avocats de Porto Rico, Kevin M. Rivera Medina, Président de la Commission sur la peine de mort de l'Ordre des Avocats de Porto Rico, et Evelyn Román d'Amnesty International.

Dans sa présentation “Porto Rico, la dimension inconnue de la peine de mort”, Carmelo Cruz a dénoncé le fait que les Etats-Unis continuent à promulguer des lois qui ne prennent pas en compte la volonté du peuple porto-ricain. Sur l'île de Porto Rico, la peine capitale peut être appliquée dans certains cas qui tombent sous la juridiction fédérale des Etats-Unis.

Porto Rico n'a pas procédé à une exécution depuis 1927, bien qu'il soit l'un des pays avec un taux de criminalité important, parmi les plus hauts du monde. De récentes fusillades, comme celle survenue au bar La Tómbola, n'ont pas poussé les habitants de Porto Rico à envisager la peine de mort comme une sanction possible devant la Cour Fédérale.

Periodismo Ciudadano (PC : Periodismo Ciudadano ) : Ces congrès de grande ampleur internationale sont d'ordinaire organisés dans des pays comme la France ou l'Espagne. Quel effet ont-ils en Amérique latine, et dans ce cas-ci à Porto Rico ?

Carmelo Campos-Cruz (CC) : Dans le cas de l'Amérique latine, où la peine de mort a été abolie dans tous les pays, à l'exception de Cuba et du Guatemala, l'effet n'est pas très significatif, ce n'est pas un sujet très discuté dans la région. Dans le cas de Porto Rico cela a son importance, parce nous nous avons l'application de la peine de mort non par la volonté de nos tribunaux, mais imposée par le  gouvernement américain.
Donc, participer à ces événements, échanger avec les collègues d'autres organisations, connaître leurs expériences et établir un partenariat, ce sont autant d'éléments fondamentaux qui nous donnent la possibilité d'obtenir des résultats dans la lutte que nous menons dans notre pays.
PC :  54% de la population de Porto Rico maintient sa position abolitionniste de la peine de mort. Cependant [comme l'a montré un sondage publié dans le journal El País le 12 avril 2013] au cours des dernières années ce chiffre a diminué de 10%. Pensez-vous que ce soit dû à l'influence américaine  sur l'île ?
CC : Il faut savoir comment analyser les statistiques. Le sondage auquel vous faites référence a été conduit avec une autre méthodologie. Dans ce sondage les choix possibles n'étaient pas seulement “oui” ou “non”, mais aussi “en aucune circonstance” et “je ne sais pas”. Si les deux sondages avaient été plus clairs, nous aurions obtenus des résultats assez similaires.
Mais admettons le préambule de votre question, qu'il y ait eu une baisse de dix points. Le fait est que Porto Rico traverse actuellement une période de forte criminalité ; c'est un pays qui enregistre un taux d'homicides parmi les plus élevés au monde, un taux de résolution des affaires très bas, et un sentiment d'impunité élevé. Ce qui peut conduire les gens à être favorable à ces mesures, qui sont inefficaces et contre les droits de l'homme, mais sans une éducation efficace, il est normal qu'elles soient prises en considération.
PC : Que signifie pour vous le terme “localement inapplicable” ?

CC : Il s'agit d'un terme utilisé dans l'article 9 de la loi du gouvernement américain, qui établit les relations fédérales avec Porto Rico. Cet article énonce que quelle que soit la loi qui ne soit pas “localement inapplicable”, elle peut être mise en application. En réalité, étant donné que les décisions sont prises dans les même tribunaux américains, c'est le Congrès qui a le devoir de décider quelles lois sont applicables et lesquelles ne le sont pas.
Par conséquent nous sommes  face à un exemple manifeste d'autodétermination ratée de la part d'une population, quand l'autre partie a le pouvoir de décider d'appliquer ou de ne pas appliquer les lois.
PC : Une dernière question : selon vous, pourquoi Porto Rico se démarque par le nombre élevé d'habitants favorable à l'abolition de la peine de mort ? Cela dépend de l'éducation ou de la tradition ?

CC : Ce n'est pas une nouveauté. Si nous analysons l'histoire de la peine de mort sur l'île de Porto Rico, et des diverses tentatives pour l'éliminer, nous découvrons que déjà à partir du XVIe siècle, d'après quelques documents, il y a eu des cas de prêtres qui tentaient de sauver des criminels de la pendaison.
Au début du XXe siècle, nous voyons des cas de charpentiers qui refusent de construire les structures pour la pendaison, des quincailleries qui ne veulent pas vendre le bois pour les construire, et des télégraphistes qui décident de ne pas transmettre les informations sur les exécutions.
Je crois que le fait que l'île soit une colonie pauvre, qui a enduré d'abord la domination espagnole et puis celle américaine, résulte explicitement de l'injustice subie de la part du gouvernement, de la part de l'Etat. En ce sens, ce qui est juste est totalement arbitraire et se mesure avec des paramètres différents. Si on est pauvre ou noir, on a plus de chance d'être exécuté.
C'est ce que Porto Rico a vécu jusqu'à la dernière de ses exécutions, avec des condamnés noirs, mulâtres et analphabètes. C'est pourquoi je crois que cette sensibilité nous pousse à dire : “Non. Cela ne doit pas être une alternative. Ce n'est pas la solution”. Malgré le taux des homicides si élevé, c'est ce que j'ai constaté durant ces années.
Kevin M. Rivera Medina (KR) : Il y a plus de 100 ans, les mouvements impliqués dans la construction et le développement de la nation porto-ricaine s'identifiaient pleinement au droit à la vie, ils étaient contre l'esclavage, et beaucoup d'entre eux contre la peine de mort. Parmi ces groupes se trouvaient des franc-maçons et penseurs qui depuis longtemps mettaient en exergue la lutte contre la peine capitale.
Donc oui, cela remonte à de nombreuses années. En outre, comme l'a dit Carmelo très clairement, c'est lorsque récemment la peine de mort a essayé de s'imposer contre la volonté du peuple, en apparaissant dans la Constitution, que les gens ont réagi à ce genre d'imposition, et  ils la voient presque comme une attaque contre leur identité. Donc en ce sens, ce fait est de grande importance pour notre identité collective.
Aujourd'hui il y a aussi un autre aspect important, c'est-à-dire celui de l'expérience porto-ricaine comme exemple pour le reste du monde. Un exemple qui montre comment un peuple a du lutter contre les diktats étrangers, sur lesquelles il n'a pas eu la possibilité de s'exprimer. Pour cette raison, nous continuons à combattre pour le droit à la vie.
En outre, bien que depuis des années la peine de mort est toujours été imposée à Porto Rico par les autorités fédérales américaines, il y a encore des jurés qui face aux cas les plus terribles, qui infligent les pires douleurs aux citoyens, se lèvent et disent “Non, non, non ! Cela ne peut pas être la solution ! Nous ne pouvons pas tuer nos semblables pour montrer que tuer c'est mal”.
Evelyn Román (ER) : Moi, je crois qu'il y a un mélange de la tradition abolitionniste du pays et, en parallèle, le processus continu  d'instruction ; ce qui vaut autant pour la société civile que pour les organisations professionnelles actives dans ce domaine. A cela s'ajoute notre préoccupation qu'à Porto Rico puisse s'appliquer la peine de mort voulue par un Etat étranger ou par les Etats-Unis, ce qui nous contraindrait à agir contre notre propre volonté. 

Source : Global Voices