lundi 19 août 2013

Livre de E. Galeano, les veines ouvertes de l'Amérique latine

 Les veines ouvertes 
de l’Amérique latine:
Critique du livre 
d’Eduardo Galeano



Par Priscyll Anctil Avoine

« Fièvre de l’or, fièvre de l’argent, le déversement du sang et des larmes1 ». Ces paroles sont issues de la chanson Las Venas Abiertas de América Latina, du groupe rock argentin Los Fabulosos Cadillacs, parue en 1995. Plus récemment, Hugo Chávez a offert le livre d’Eduardo Galeano au Président Barack Obama lors du 5e Sommets des Amériques qui s’est tenu entre le 17 et le 19 avril dernier (Afrocentricité). Résultat : les ventes sur Amazone ont augmenté de 466% (Ortega Luyando, 2009). Ces exemples montrent toujours l’actualité des thèmes abordés dans le livre de Galeano publié en 1971 : son propos est quasi intemporel. L'Amérique latine selon Galeano « Une terre qui est morte nombre de fois, et nombre de fois a recommencé à naître comme si elle était condamnée à naître incessamment ».

En effet, son œuvre recèle une panoplie d’informations tant historiques, sociologiques que politiques et économiques. La lecture nous plonge dans un questionnement sans fin jusqu’à remettre en question notre identité même « d’Américains ». Le livre a d’ailleurs eu son lot de controverses. Un penchant trop gauchiste ? Les faits sont-ils véridiques ? Néanmoins, 38 ans après sa parution, il fait encore couler de l’encre.  

Les veines ouvertes de l’Amérique latine oscille entre la poésie et le récit journalistique, entre l’essai et le roman dans un style sobre et à portée de tous dans la volonté de l’auteur de « converser avec chacun » (Galeano, 1971 : p. 363). Véritable tâche de restauration de la mémoire collective latino-américaine, cette œuvre mérite d’être analysée et mise en perspective. Ainsi, cette synthèse critique se subdivisera en quatre parties : une critique externe, une synthèse globale, un état des problématiques centrales et des concepts fondamentaux et, finalement, une critique interne du travail de l’écrivain uruguayen.

I. Critique externe

Avant de décortiquer le contenu de l’œuvre de Galeano, nous devons la situer dans son contexte de rédaction. L’auteur est né en 1940 dans une Amérique latine qui n’a toujours pas trouvé son identité propre malgré les indépendances. Lorsqu’il rédige Les veines ouvertes de l’Amérique latine, la situation de sa région ne s’est guère améliorée, voire même détériorée. Le contexte de sa rédaction est fort équivoque : nous sommes en pleine Guerre froide où les pays du Tiers-Monde sont le terrain des antagonistes Est-Ouest. En Amérique latine, les années 1970 s’entament sur la faiblesse des systèmes politiques et économiques et sur l’accroissement des disparités sociales. L’exploitation exagérée des richesses n’a toujours pas cessé.

Également, la victoire des troupes castristes contre l’impérialisme américain donne une impulsion à la pensée gauchiste, dans laquelle s’inscrit Galeano. C’est aussi durant les années 1960-1970 que commence à prendre de l’importance la théorie de la dépendance dans les pays du Sud. Pareillement, nous voyons émerger une nouvelle dynamique des mouvements sociaux et de nouvelles formes complexes de contestation sociale à travers le monde (Hudon et Poirier, 2009 : 110). Ce fait est notamment visible à la lecture de la dernière partie du livre « Sept années ont passé ».            Ce contexte est important pour bien s’ancrer dans la perspective de l’auteur alors qu’il a rédigé son œuvre puisque, bien qu’il subsiste énormément de faits récurrents, le contexte a évolué.

II.  Synthèse globale

Faire une synthèse juste et représentative d’une œuvre aussi imposante relève du défi. Chaque page est une mine d’informations et une analyse minutieuse est requise pour dégager les grandes lignes que nous aborderons plus tard. Les veines ouvertes de l’Amérique latine se pose comme un « roman historique» ayant comme objectif d’expliquer les causes de la pauvreté du continent latino- américain. Pour l’expliquer Galeano remonte jusqu’à la conquête espagnole de l’Amérique en 1492 et au fil des siècles, attribue cette pauvreté à la présence étrangère en sol latino-américain.

Le portrait de l’Amérique latine des années 1970 est décevant : les inégalités sociales se creusent, les gouvernements sont toujours aussi corrompus, la division des terres toujours aussi inégalitaire, le patriotisme brille par son absence et les Latino-américains tardent à s’imposer face à la division internationale du travail qui est réglée par le capitalisme international. Cette multitude de problèmes socio-économiques prend ses sources dans les différentes étapes d’une histoire qui n’a jamais été prise en main par le peuple lui-même. La première de ces étapes fut celle de la colonisation ou plutôt de la conquête des puissances espagnoles et portugaises.

Les systèmes implantés par ces conquistadores, comme les encomiendas et les chemins de fer qui reliaient uniquement les points d’extraction miniers aux ports d’exportation, ont vidé les terres les plus riches de l’Amérique latine des ressources qui auraient pu bénéficier à leur population. S’installa alors une véritable industrie qui servira non pas à enrichir la métropole espagnole ou portugaise, mais à financer les guerres de religion du « Vieux continent » et à donner l’impulsion financière aux Anglais pour propulser la Révolution industrielle. L’argent, l’or, le sucre, le cuivre ; le pillage interne augmente toujours plus au détriment des indigènes, qui voient leur population s’affaiblir de plus en plus. Les rebellions sont toutes étouffées dans le sang et les atrocités ne se comptent plus pour payer les fastes des classes dominantes.

Les mines ont été vidées, les terres appauvries et condamnées à la monoculture, un phénomène toujours présent aujourd’hui. Évidemment, cette saignée de l’Amérique latine s’accompagne d’une ruine de l’Afrique, avec tous ces caciques africains qui ont pris part au commerce triangulaire. Par la suite, les indépendances n’ont pas changé la donne : la domination étrangère s’est seulement transformée. Premièrement, les Anglais inondèrent le marché latino-américain de leurs produits, ce fut donc la lente mort de l’industrie nationale qui ne s’est jamais relevée.

Ce fut ensuite le temps du pétrole, des métaux et des républiques bananières, véritables enclaves octroyées à des grandes compagnies et multinationales. Les gouvernements des nouveaux pays donnèrent carte blanche à celles-ci afin qu’elles puissent exploiter sans le moindre désavantage, voire même sans payer d’impôts. Ainsi, la bourgeoisie nationale ne voyait d’intérêt à construire un marché intérieur développé et indépendant. Les nombreuses initiatives voulant mettre en place des politiques de nationalisation ou de réformes agraires ont toutes avortées. L’entrée des investisseurs nord- américains au début du siècle dernier a été désastreuse : les coups d’État se succédaient étrangement aux nationalisations qui défavorisaient les compagnies et monopoles étrangers. Ces monopoles étrangers décidaient des présidents, de la paix et de la guerre. Mais l’histoire officielle accuse les « sanguinaires dictateurs ». Au milieu du 20e siècle, l’ennemi international de l’Amérique latine s’est institutionnalisé derrière les organismes internationaux : le FMI et la Banque mondiale, deux enfants de Washington.

Les libéralisations, les dévaluations de monnaies et l’absorption définitive des entreprises nationales ont condamné davantage la capacité de consommation intérieure et augmenté la misère. Ces organisations prétendument internationales ne font qu’ouvrir les portes à la « nord- américanisation » du monde capitaliste. La brèche dans le commerce est de plus en plus grande. Les dettes externes étranglent de plus en plus l’Amérique latine et la situation des droits humains ne s’améliore pas : torture, répression et terrorisme d’État. Les années 1970 n’augurent rien de bon avec le choc pétrolier de 1973 et le coup d’État au Chili avec l’accession au pouvoir de Pinochet, favorable aux intérêts nord-américains. Cette synthèse globale a voulu faire un portrait exhaustif du livre de Galeano sans tomber dans les longueurs. Elle fait abstraction des nombreuses statistiques avancées par l’auteur pour prouver ces dires. Posons maintenant un regard critique sur cette œuvre.

III. Problématiques centrales et concepts fondamentaux

Le nombre de concepts amenés par Galeano est astronomique et nous ne prétendons pas en rendre compte dans leur totalité. D’abord, l’œuvre de Galeano se subdivise en 4 parties : l’introduction, la première partie, la deuxième partie et la partie intitulée « Sept années ont passé ». Nous considérons également que si nous pouvions exprimer une « thèse » que Galeano a voulu démontrer avec son livre, elle serait exprimée dans cette citation (Galeano, 1971 : 365) :

[...] le sous-développement latino-américain est une conséquence du développement étranger ; nous, Latino-Américains, nous sommes pauvres parce que le sol que nous foulons, si riche et si privilégié soit-il par la nature, a été maudit par l’histoire.

S’appuyant sur cette « thèse », les hypothèses du sous-développement sont multiples et contenues dans les diverses parties du travail de Galeano sur lesquelles nous nous attardons subséquemment. Abordons les problématiques centrales et les concepts en les subdivisant selon ces parties.

a. Introduction

La problématique centrale de cette partie est la stagnation voire, la dégradation de la situation socioéconomique de l’Amérique latine dans les années 1960-1970. Galeano soutient dans cette partie que la machine capitaliste agit toujours de manière inégalitaire dans sa répartition de la richesse, l’Amérique latine étant toujours dans une misère profonde. Pour ce faire, il utilise une pluralité de concepts. Dès la première phrase, apparaît celui de la division internationale du travail : « La division internationale du travail fait que quelques pays se consacrent à gagner, d’autres à perdre. » (Galeano, 1971 : 9)

L’Amérique latine, depuis la conquête, est vouée à être la soumise dans cette division du travail : une sous-Amérique. Comme deuxième concept, il y a l’impérialisme sous toutes ses formes, mais surtout l’impérialisme systémique d’où découle une multitude d’autres sous-concepts comme l’oppression régionale et la violence systématique engendrée par la recherche toujours croissante de capital. Conséquemment, un autre concept important est celui de l’oligarchie ou la classe dirigeante par lequel Galeano réussit à faire la lumière sur beaucoup de problèmes actuels de l’Amérique latine. Entre autres, il est question de toutes les « révolutions étranglées » et du patriotisme inexistant.

Pour cause : les classes dirigeantes, selon l’auteur, n’avaient aucune raison de développer un capitalisme intérieur, ce fut donc un cycle de dépossession qui a débuté. Une autre notion à souligner est la croissance démographique. Celle-ci pose deux problèmes : l’excédent de main-d’œuvre et la justification de la pauvreté. Selon l’auteur, il serait faux de rendre cette croissance démographique responsable de la pauvreté car de grandes régions demeurent inhabitées. La culpabilité revient au dernier concept de cette partie : les inégalités de revenu et d’accès à la terre. D’ailleurs, selon des statistiques de 1997, sur les 14 pays les plus inégalitaires du globe, 6 sont latino- américains, comme quoi la situation n’a pas changé (Castel, 2002 : 24). Au fond, le concept englobant est le système et la conséquence en serait l’inaction des latino-américains face à cet échec historique.

b. Première partie :la richesse de la terre engendre la pauvreté de l’homme

La première partie est centrée sur le colonialisme et les problèmes qu’il a engendré en laissant les colonies vulnérables aux puissances étrangères. Cette partie se subdivise en sous-parties ayant chacune leurs problématiques centrales et leurs concepts.

Chapitre 1 : Fièvre de l’or, fièvre de l’argent

La problématique centrale de ce chapitre est l’exploitation minière à outrance. Tout d’abord, une première constatation à faire est la suivante : c’est le « choc de deux mondes » et Galeano s’emploie à utiliser le concept d’inégalité du développement des civilisations qui vont se rencontrer lors de l’arrivée des Européens. De cela découlera l’extermination pratiquement complète des grandes civilisations précolombiennes et autres peuples indigènes. Le second concept important est celui du « mythe de l’Eldorado » qui a donné naissance au pillage du continent latino-américain. Ainsi, débute une course folle à l’or, l’argent et autres métaux précieux. Ceci nous amène à un autre concept, le travail forcé à travers les mitayos, qui a contribué à rendre possible l’accumulation du capital et la Révolution industrielle. Un autre engrenage important est le fait que ces capitaux soutirés à même le sous-sol latino-américain servaient à financer les nombreuses guerres dans lesquelles les couronnes européennes s’étaient embourbées : les deux autres conceptions importantes sont les guerres de religions et les banqueroutes des royaumes européens. L’Église est donc un concept à ne pas négliger.

Chapitre 2 : Le roi sucre et autres monarques agricoles

La problématique du présent chapitre relève beaucoup plus de la relation à la terre et de l’usurpation de ses ressources durant la période coloniale. Nous retrouvons une foule de concepts. D’abord, les « Sugar Islands », les enclaves bananières et, plus généralement, les « latifundios ». De cela découle quatre sous-concepts : la monoculture, l’appauvrissement des sols, la concentration des terres dans les mains d’une minorité et l’enrichissement des intermédiaires au détriment des producteurs et des consommateurs. Ces facteurs n’ont pas du tout facilité la transition des colonies vers de véritables patries ce qui fait dire à l’auteur que Cuba serait le seul pays à avoir vraiment tiré du sucre un développement national, d’où l’utilisation du concept socialisme en opposition au capitalisme.

Dans un deuxième temps, l’auteur aborde la notion d’esclavagisme à travers laquelle il dénote des conséquences importantes : une « saignée » de l’Afrique, la montée en importance des caciques africains, les suicides collectifs d’indigènes et d’esclaves et le colonialisme interne entre Blancs et Indiens. Plus tard, l’auteur se sert aussi de l’idée de « servage féodale » pour exprimer que les indépendances n’ont pas tué l’esclavagisme, surtout dans les grandes plantations. Une autre idée importante est la dépendance économique engendrée par la construction de chemins de fer positionnés stratégiquement de manière à ne pas alimenter la croissance intérieure et favoriser les puissances étrangères. Finalement, c’est dans cette partie que l’auteur commence à introduire le sujet de la corruption des classes dirigeantes et des gouvernements latino-américains ce qui a conduit à la violence et la dépossession des terres.

Les sources souterraines du pouvoir

La problématique centrale de ce troisième chapitre est le pouvoir que procurent les richesses minières et les atrocités qui ont été commises en leur nom. Ce chapitre fait un bref survol jusqu’à nos jours de toutes les guerres, sous toutes leurs formes, qui ont été perpétrées au nom des richesses naturelles de l’Amérique latine. Comme premier concept nous retrouvons cette dépendance croissante face aux matières premières de la région ce qui entraîne un jeu de pouvoir important. Les sous-sols latino- américains ont fait des envieux. C’est ainsi que Galeano apportent les concepts suivants: nationalisation, coups d’État, espionnage et révolutions. En effet, nombreux sont les hommes qui ont tenté de nationaliser l’extraction minière dans l’histoire de l’Amérique latine depuis l’or jusqu’au pétrole. Cependant, ces nationalisations ont échoué, plus souvent qu’autrement par l’instauration de dictatures favorables aux puissances étrangères par des coups d’État. Arrivent deux autres concepts cruciaux : les multinationales et les cartels internationaux, abordés dans la partie subséquente.

c. Deuxième partie : le développement est un voyage qui compte plus de naufragés que de navigateurs

Cette partie met en lumière la problématique du développement et se subdivise en deux problématiques : le néocolonialisme, soit de la nouvelle forme de colonialisme qui impose la domination économique à un pays (Le Robert, 1984 : p. 1264) et l’impérialisme nord-américain.

Histoire de la mort précoce

Ce chapitre rend compte de la complexité historique de l’Amérique latine qui a engendré instabilité et sous-développement. L’Amérique latine n’a pas eu le temps de crier victoire, déjà s’instaurait un premier concept : la Pax Britannica. Ce sont effectivement les Anglais qui ont remplacé les Espagnols après les indépendances en inondant les marchés latino-américains des produits de l’Angleterre. Le néocolonialisme anglais se ressentait également à travers la multitude de banques anglaises s’installant un peu partout dans la région sud-américaine et caribéenne. Le concept suivant est la négation de la patrie.

En effet, les commerçants latino-américains ne voyaient aucun intérêt dans le développement intérieur et ainsi se servaient des ports comme « instrument de conquête et de pouvoir contre leur propre pays » (Galeano, 1971 : 247). Pour expliquer cette partie, l’auteur utilise le protectionnisme versus le libre-échangisme en comparant les bourgeoisies américaines et latino- américaines en soulignant que les États-Unis ne sont pas devenus la plus grande puissance mondiale grâce au libre-échangisme. Il mentionne tous les échecs de protectionnisme latino-américain comme avec Artigas et Varela. Un dernier concept évalué dans cette partie est le « sous-impérialisme » dont le meilleur exemple se trouve dans la guerre de la Triple-Alliance où le Brésil joue un rôle actif comme leader continental.

La structure actuelle de la spoliation

La problématique de ce chapitre est simple : la dépossession a continué après les indépendances bien que de façon beaucoup plus subtile sans pour autant être inefficace. C’est la « nord-américanisation » du système capitaliste. Celui-ci se traduit de plusieurs façons. D’abord, il y a l’idée du nouvel impérialisme qui se donne une « mission civilisatrice » : les États-Unis considèrent l’Amérique latine comme leur arrière-cour. Deuxièmement, soulignons que, tant le FMI, la Banque mondiale que les multinationales apportent une nouvelle notion :           

la « dénationalisation », soit la passation des industries nationales vers des entreprises privées. Le FMI et la BM facilitent les politiques libre- échangistes et l’abolition des restrictions à l’initiative privée. De même, les gouvernements donnent carte blanches à ces filières de multinationales qui se donnent même le pouvoir d’élaborer des politiques nationales. Cela apporte un autre concept, celui de l’endettement. Autrement, la « brèche du commerce » se fait de plus en plus grande : c’est la notion clé de la détérioration des termes de l’échange qui favorise toujours moins les pays latino-américains. 

Il y a aussi la technologie qui facilite la production et demande de moins en moins de main-d’œuvre. Cela favorise trois sous-concepts : la marginalisation sociale, la migration urbaine et les inégalités sociales. De même, Galeano introduit le concept d’intégration régionale en faisant mention de l’ALALC, qui selon lui, accroît davantage la misère latino-américaine.

d. Sept années ont passé

Cette partie est en soi la suite de l’introduction dans le sens où elle actualise jusqu’en 1977 la désolation face à laquelle se retrouve l’Amérique latine. Cette partie reprend beaucoup de concepts touchés au fil du livre, mais en ajoute quelques-uns qui méritent d’être soulignés. En ce sens, la mémoire est un facteur très important ici : ce chapitre appelle les latino-américains à ne pas entretenir une mémoire « fabriquée par l’oppresseur ». D’autres concepts sont aussi abordés : la répression, notamment au Chili de Pinochet, la pauvreté massive, la main-d’œuvre bon marché mais surtout, la corruption institutionnalisée et le terrorisme d’État. En effet, ces problèmes se révèlent cruciaux : c’est un appel aux latino-américains à prendre leur destinée en main.

IV. Critique interne

Les détracteurs comme les fervents de son œuvre ont beaucoup à dire sur l’écriture de Galeano. Le travail de l’auteur uruguayen est extrêmement recherché tant dans le style que dans sa perspective historique, mais il vaut la peine de creuser notre réflexion. Les opposants à la pensée de Galeano soutiennent que les causes du sous-développement ne découlent pas uniquement de l’extérieur, ni d’un seul ennemi, soit le capitalisme, mais bien d’une pluralité de facteurs combinés. Que Les veines ouvertes de l’Amérique latine relève plutôt d’un combat entre coupables et victimes.

Ainsi, ces détracteurs pensent que ce livre s’inscrit trop dans la lignée anti-impérialiste de gauche justement en montée dans les années 1960-1970. Ils croient également que les causes du sous-développement relèvent moins du système impérialiste capitaliste que du manque de liberté des peuples latino- américains. Cette carence aurait consacré leur soumission sans possibilité de développement socioéconomique. Finalement, les opposants pensent qu’une part des responsabilités incombe aux latino-américains (Gurdián, 2007). Pour ce qui est des partisans de l’œuvre de Galeano, ils y voient premièrement une des seules remises à l’heure historique que connaisse l’Amérique latine.

Également, ils perçoivent l’œuvre de Galeano comme pouvant toucher un large public par la facilité de la lecture et le rapprochement avec les intérêts des « masses populaires ». Pour eux, c’est une justice enfin rendue face à l’humiliation subie durant des siècles. Pour eux, c’est justement, par opposition aux détracteurs, un appel à lutter et à prendre ses responsabilités de latino-américain. Ils pensent également que c’est une chance pour le peuple de faire un choix plus éclairé lorsque vient le temps de choisir les dirigeants : c’est une occasion que la population rejoint par le livre prenne conscience tout simplement. Pour eux, le système impérialiste capitaliste n’est pas l’unique cause, mais bien la source de toutes les causes ayant contribuées à maintenir l’Amérique latine étranglée. Surtout, les fervents de la « thèse » de Galeano s’appuient sur le fait que la situation d’aujourd’hui est tout autant négative après tout ce que l’on a connu de la libéralisation économique que les pays du Nord ont imposé à ceux du Sud (Rodríguez, 2007).


En conclusion, Les veines ouvertes de l’Amérique latine est une œuvre très simple et à la fois très profonde qui est racontée avec brio. Ce bouquin nous donne un peu l’impression d’être assis à écouter Galeano dans son salon tout en se sentant parcourir une quantité astronomique d’ouvrages richissimes. La seule désolation est que ce livre aurait pu être plus nuancé mais surtout, plus facilement accessible à tous les latino-américains. Une actualisation serait de mise car les dernières années, surtout avec la mondialisation grandissante, ont beaucoup marqué l’Amérique latine, même si beaucoup de problèmes persistent. 

Selon nous, ce livre de Galeano est porteur de deux messages essentiels pour que l’Amérique latine sorte de sa situation : l’éducation et la prise en main collective pour la recherche de solutions à l’échelle nationale. Terminons avec une pensée de Galeano sur l’Amérique latine : « Une terre qui est morte nombre de fois, et nombre de fois a recommencé à naître comme si elle était condamnée à naître incessamment - 2 ».


Notes :

1 « Fiebre del oro, fiebre de la plata/El derramiento de la sangre y de las lagrimas »

2 Una tierra que ha muerto muchas veces, y muchas veces ha vuelto a nacer, como si estuviera condenada al nacer incesante.

Bibliographie

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CASTEL, Odile, 2002, Le Sud dans la mondialisation : quelles alternatives ?, Paris, Éditions La Découverte & Syros : 24.

GALEANO, Eduardo, 1971, Les veines ouvertes de l’Amérique latine : l’histoire implacable du pillage d’un continent, traduction française de 1981, Paris, Éditions Plon, Coll. Terre Humaine Poche.

GURDIÁN,Natalia, 2007,Relacionescausalesincorrectas:Unacríticaa“Lasvenasabiertasde América Latina” de Eduardo Galeano, Universidad Francisco Marroquín, [En ligne], http://www.eleutheria.ufm.edu/ArticulosPDF/061120_relaciones_causales_gurdian_final.pdf (Page consultée le 26 octobre 2009).

HUDON, Raymond et Christian POIRIER, 2009, La politique, jeux et enjeux. Vers un renouvellement de la politique et ses acteurs, Québec, Presses de l’Université Laval : 110.

LOS FABULOSOS CADILLACS, 2009, Las Venas Abiertas De América Latina, [En ligne], http://letras.terra.com.br/los-fabulosos-cadillacs/23546/ (Page consultée le 26 octobre 2009).

ORTEGA LUYANDO, Yemeli, 2009, Les veines ouvertes de l’Amérique latine entre les mains d’Obama, CultureKub, [En ligne], http://www.culturekub.com/non-fiction/livre-obama-chavez (Page consultée le 26 octobre 2009).

ROBERT, Paul, 1984, Le petit Robert 1, dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française, Paris, Éditions Le Robert : 1264.

RODRĺGUEZ, Andrés, 2007, Las Venas Abiertas de América Latina, Universidad Francisco Marroquí, [En ligne], http://www.eleutheria.ufm.edu/ArticulosPDF/061127_venas_abiertas_rodriguez.pdf (Page consultée le 26 octobre 2009).

Références consultées mais non citées

Le Grenier de Lionel Mesnard, 2007, Eduardo Galeano, un autre regard, [En ligne], CLIQUEZ ICI !  (Page consultée le 26 octobre 2009).

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Source : Université de Laval (Québec - Canada)