jeudi 22 août 2013

Cuba, quand un petit bureaucrate stalinien fait sa loi !

Un fonctionnaire communiste
 contre 
les Droits de l’homme 




Par Isbel Díaz Torres
 
Mon compagnon de vie, l’optométriste Jimmy Roque Martínez , vient d’être accusé, à son travail, d’être des “droits de l’homme”, raison pour laquelle le Parti communiste propose son licenciement. La dénonciation vient du secrétaire du PCC (Parti communiste cubain) de son centre de travail, un certain Berardo Duke Prieto. Tout cela ressemble à une de ces ridicules et tristes farces où un fonctionnaire, pour une raison extra-laborale, décide de se débarrasser d’un travailleur. Cependant, comme ce qui est en jeu c’est l’emploi de Jimmy, je pense que cela vaut la peine d’approfondir un peu plus cette affaire.

Le Berardo en question, en plus de diriger le Parti dans cette entreprise, est le président de l’Organe de justice du travail de base, il est aussi directeur des Ressources humaines et juge. Ce type pense, à juste titre, qu’il détient beaucoup de pouvoir. En plus d’une occasion, il a assuré publiquement que s’il voulait il pouvait déloger de son poste la directrice de la polyclinique 27 novembre à Marianao.

La raison de la rancœur partisane du chef a pour origine le moment où, quelques jours auparavant, il accompagna au bureau de Jimmy un de ses amis, le Directeur municipal du travail. Ce “haut” fonctionnaire a été reçu par Jimmy avec tout le professionnalisme qui le caractérise.

Cependant, lors des présentations, le fonctionnaire dit qu’il lui semblait reconnaître Jimmy, ce à quoi mon compagnon répondit qu’effectivement ils s’étaient rencontrés il y a quelques années quand fut il licencié de son officine gouvernementale.

Le Directeur du travail ne se formalisa pas, on ne sait pas pourquoi, mais le commentaire de Jimmy suffit pour offenser la fragile sensibilité de Berardo, qui appela (selon ses propres termes) les services de contre-espionnage militaire pour les informer du fait que Jimmy était “des droits humains”.

Je sais que ce serait risible, si ce n’était le tragique de la situation : Jimmy est le seul soutien de sa famille, composée de sa mère malade, de sa sœur paralysée depuis sa naissance, et son neveu souffrant de retard mental.

L’administration de la polyclinique n’a pas encore publié de sanction, et Berardo, qui est connu pour provoquer des scandales à l’entrée de la polyclinique (comme j’ai pu le constater), a répandu des rumeurs parmi les travailleurs, en cherchant de leur appui pour licencier Jimmy et en appelant à le soutenir les “communistes” du centre de travail.

En outre, le fonctionnaire a menacé certains médecins du centre de leur refuser l’autorisation d’effectuer une mission à l’extérieur de Cuba, en utilisant sa position en tant que chef du Parti, s’ils ne cessaient pas leur relation amicale avec Jimmy, en espérant que ce dernier démissionne “volontairement”.

Jimmy croit en l’utilité des Droits de l’homme et n’a pas peur de l’affirmer publiquement, mais on peut difficilement l’accuser d’un tel activisme, parce qu’il est trop timide pour parler en public. Sa contribution précieuse aux travaux du réseau de l’Observatoire critique, est une chose qu’on pourrait lui reprocher en lui collant  l’étiquette “des droits de l’homme”, et cela il n’a pas l’intention de le nier.

Cependant, chaque Cubain sait que la stigmatisation que cette expression implique, peut être fatale. Pour une partie de notre population, totalement désinformée par les médias officiels, appartenir aux “droits de l’homme” est quelque chose considérée comme être un terroriste, un mercenaire, un assassin, un fasciste.

La faible culture du chef des ressources humaines  empêche le fait qu’il puisse discuter de ces questions. A plusieurs reprises, Jimmy a essayé d’échanger sur d’autres questions politiques avec lui, mais c’était impossible. Il s’énerve immédiatement, il crie des mots d’ordre “révolutionnaires”, et quitte les lieux.

À un moment donné Jimmy a fait quelques commentaires au sujet de la contribution de l’anarcho-syndicalisme aux luttes des travailleurs dans l’histoire de Cuba, et aujourd’hui Berardo diffuse auprès des travailleurs du centre une définition négative de l’anarchisme (probablement sortie d’un dictionnaire stalinien), dans le but de discréditer le jeune révolutionnaire.

Berardo sait-il (et les membres des services de contre-intelligence) que le gouvernement cubain est signataire de la Charte des Droits de l’homme ? Est-ce que cela signifie quelque chose pour eux ?

En outre, la Constitution cubaine obsolète et très limitée approuve les principaux droits de l’homme, parmi lesquelles se détachent la liberté de pensée et d’expression, tout comme le droit au travail.

Il, est presque sûr qu’ils méconnaissent les histoires du dirigeant syndical Alfredo López (1), du combattant de la prise de la caserne de la Moncada en 1953 (2), Boris Luis Santa Coloma (3) (le fiancée de Haydée Santamaria (4) et l’ami de Fidel Castro), du père de Camilo Cienfuegos (5), du syndicaliste Margarito Iglesias (6), tous anarchistes. Sans oublier que les membres du Mouvement du 26 juillet (7)  se réunissaient au siège de l’Association libertaire de Cuba (8).

Jimmy a déjà souffert, il y a deux ans, du fait d’être renvoyé de son travail dans un hôpital cubain en raison de son activisme écologiste et politique au sein du réseau de l’Observatoire critique. En cette occasion, l’administration inventa une excuse pour se débarrasser du travailleur, et elle occulta la véritable raison qui était politique.

Dans ce cas, la capacité du chef de parti n’est pas si importante, il s’est lancé dans une guerre idéologique impossible. Pour cette “bataille d’idées” il est nécessaire, d’avoir au moins des idées. Espérons que l’administration du centre reconnaitra le ridicule de cette situation, et qu’elle sanctionnera avec force le fonctionnaire qui a outrepassé ses pouvoirs.

La solidarité est nécessaire, de celles de ceux qui sur l’île ou hors d’elle, sentent en leur chair cet arbitraire. Toute recommandation ou déclaration sera utile pour briser les manœuvres mesquines qui s’attaqueront à mon compagnon.

Pour ma part, je maintiendrai mes lecteurs informés, la communauté internationale et les principales institutions nationales, sur l’issue de ce scandale politique.

Publié sur Havana times : cliquez ici !

Notes du traducteur :

1. Alfredo López fut un grand dirigeant ouvrier cubain de la décade des années 20. Assassiné par les forces répressives du dictateur Machado en 1926. Il participa au Congrès ouvrier de 1920 où surgit la Fédération ouvrière de La Havane (FOH) dont il fut le trésorier et l’un des principaux animateurs.

2. Cette attaque dirigée par Fidel Castro, âgé alors de 26 ans, avait été menée par 123 jeunes issus principalement des jeunesses du parti orthodoxe, en acte de résistance contre le régime de Fulgencio Batista. L’attaque de la caserne de la Moncada fut un échec sanglant. Au total 22 soldats seront tués, la plupart d’entre eux massacrés en pyjama. Devant le massacre des leurs, les soldats se montrent en retour d’une sauvagerie sans pitié et tuent des assaillants, interrogeant ou tuant parfois à coup de crosse ceux qui se rendent. Les survivants s’enfuient ou seront jugés. Au total la moitié des assaillants ont trouvé la mort.

3. Boris Luis Santa Coloma était né à La Havane  en 1928, il était membre de l’Union syndicale des travailleurs et anarchiste. Il fit partit des assaillants de la caserne de la Moncada où il perdit la vie.

4. Haydée Santamaría Cuadrado était en 1922 à La Havane. Elle était une guérillera et une femme révolutionnaire cubaine.
Elle participa à l’attaque de la caserne de Moncada. Elle fut fondatrice-directrice de la Maison des Amériques. Haydée Santamaría s’est suicidée en juillet 1980.

5. Le père de Camilo Cienfuegos, Ramón Cienfuegos était un anarchiste espagnol réfugié à Cuba après la victoire du général Franco en Espagne en 1939.

6. Margarito Iglesias fut un dirigeant syndicaliste cubain. Il faut torturé et assassiné à La Havane en 1923.

7. Le Mouvement du 26-Juillet (M-26) a été créé à l’été 1953 par Fidel Castro pour regrouper les survivants à l’issue de l’échec sanglant de l’attaque de la caserne de la Moncada à Santiago de Cuba le 26 juillet 1953