jeudi 29 août 2013

Colombie, les ouvriers agricoles ou les oubliés des campagnes

L’Etat Colombien 
et les droits des salariés 
et journaliers 
des campagnes

Par Héctor Vásquez  - Notes et traduction de Libres Amériques

Le président Juan Manuel Santos la semaine dernière expliquait que la grève nationale du monde agricole n’existait pas, bien que touchant 48 axes routiers et concernant 500.000 colombiens (tous secteurs confondus). Le président s’est enfin décidé à faire des propositions et cela péniblement au bout de 10 jours de grève et de fortes paralysies du trafic, entraînant des risques de rationnement de certaines denrées dans les métropoles. Il n’est pas encore temps de tirer un bilan de ce conflit social toujours actif et ballotté au gré des violences de l’ESMAD (police antiémeute), mais de découvrir certaines réalités propres et évoquer la situation de ceux qui seront certainement les grands oubliés de ce mouvement social : les ouvriers agricoles et les journaliers (plus de 1,3 millions de personnes).

Le collectif d’avocats José Alvear Restrepo permet d’en savoir un peu plus sur les « oubliés » du monde paysan colombien, c’est-à-dire, les travailleurs salariés ou journaliers. 

Ce texte du collectif permet de comprendre les conditions miséreuses de ce prolétariat des champs. Ce qui soulève quelques questions quand au respect des règles et normes internationales en matière de droit du travail. 

De fait, n’y a-t-il pas un gros problème d’ordre juridique se posant quant à la nature des traités commerciaux, et plus récent d’entre eux, le traité de libre-échange avec l’Europe ?

La question  est toute simple, peut-on faire entrée des produits en Europe n’assurant pas certaines normes internationales et en premier lieu l’absence de contrat entre l’employeur et ses salariés et toute une série de questions épineuses touchant à la dignité humaine et à la protection des personnes ?

Ces problèmes font appel à des juristes et l’objet n’est pas d’y apporter une réponse, sauf à susciter des recours devant la Cour Européenne de Justice, qui sait... Par ailleurs, il faut se demander si la crevette, la banane, le café, etc., que nous consommons ici sur le continent européen et provenant de Colombie ou d’ailleurs conforter des mécanismes sociaux plus qu’inégalitaire.

Pouvons-nous en tant que citoyens et citoyennes, nous dédouaner des conditions de vie et de travail de centaines de milliers de personnes exploitées, par des patrons de petites exploitations, eux-mêmes abusés  par les intermédiaires ou les grossistes, et via les grands groupes de l’agro-alimentaire déversant des produits « pas chers » dans nos supermarchés à un coût social et humain .

Et quant au texte ci-après sur les ouvriers agricoles, il pose une interrogation de fond, de telles inégalités doivent-elles se faire en violation des textes de l’Organisation Internationale du Travail, et se retrouver dans nos assiettes ou ventres repus, quand certains vivent avec moins d’1 euro par jour ou touchant des salaires permettant d’échapper au seuil de pauvreté (89 euros par mois) mais n’assurant aucune protection légale et sociale ?


L’Etat Colombien et les droits des salariés et journaliers des campagnes

Les protestations agitant depuis 10 jours les campagnes colombiennes sont plus que justifiées. Petits producteurs de lait, de café, de riz, de pomme de terre, etc., font face à chaque fois à des conditions de plus en plus difficiles. Non seulement ils doivent supporter, la concurrence hostile provoquée par les traités de libre commerce (ou de libre-échange), ainsi que les prix de vente, que leurs imposent les compagnies transnationales, en n’accordant pas aux petits exploitants, les moyens de prospérer.

De plus, ils sont victimes des intermédiaires et des grossistes, achetant leurs cultures et  productions « pour peau de lapin », un contexte dans lequel l’Etat est complètement absent, faute de politique publique, de crédit, d’assistance techniques et de commercialisation de leurs produits permettant d’améliorer la rentabilité de leurs exploitations.

Cependant, dans l’actuelle conjoncture de mobilisation et de contestation paysanne, personne ne se réfère aux problématiques spécifiques  des travailleurs salariés et journaliers des campagnes. Derrière chaque cultivateur de pomme de terre, ou producteur de lait, de café, de riz, ou éleveur, il existe au moins trois, quatre, cinq salariés ou plus de travailleurs se trouvant dans une situation encore pire : sans la possibilité de gagner un salaire minimum (environ 245 euros ou 589.000 pesos par mois, ou par jour, 8 euros ou 19.500 pesos colombiens).

Ces travailleurs ne disposent d’aucune affiliation à la sécurité sociale, ils travaillent du lever du soleil à son coucher, et ils sont sans protection contre les maladies professionnelles et les accidents du travail. Ils deviennent « travailleurs » quand ils sont vieux  et se retrouvent sans aucun revenu, puisque personne ne les a contractualisés et jamais ils n’ont trouvé l’opportunité de cotiser pour une pension de retraite.

A l’échelle nationale, l’agriculture, l’élevage, la pêche et la pisciculture et la sylviculture occupent 3. 366.000 personnes, soit 16% de la population active : 898.000 sont des travailleurs salariés et 595.000 sont des journaliers  ou des ouvriers agricoles appelés "Peones" (le terme « peone » en tant que terme d’usage commun, peut avoir plusieurs significations, et surtout une histoire très proche du servage et issue de la condition  très miséreuse du monde agricole colombien et plus largement andin).

Sauf les coupeurs de canne de la Vallée du Cauca, les travailleurs de la banane dans la région d’Urabá et du Magdalena, les travailleurs des fleurs de Cundinamarca et dans l’est du département d’Antioqua, et quelques travailleurs des plantations de palme africaine, les travailleurs en grande majorité voués aux travaux agricoles travaillent en situation informelle*, ils sont sans protection sociale, et sans droit à un salaire minimum. (* ndt, ils n’existent pas juridiquement ou légalement, parce qu’ils ne sont pas déclarés),

Les propres statistiques du DANE indiquent (Direction des Statistiques Nationales) et du Ministère du Travail, qu’en 2012, le travail informel dans le secteur agricole était de 91% (1), c’est-à-dire, que leur labeur n’est pas adapté pas aux normes du Code du travail en vigueur et aux conventions de l’OIT (l’Organisation Internationale du Travail), faisant qu’au moins 73% des travailleurs et travailleuses n’ont pas de salaire minimum, et que le revenu moyen dans ce secteur atteint à peine 80% du salaire minimum.

Tous ces travailleurs, plus ceux qui travaillent à leur propre compte en leurs petites parcelles  sont ceux qui font la masse des pauvres des campagnes colombiennes, qui au sein des statistiques de la DANE apparaissent comme “le reste” atteignant 46.8% de la population. A ceci, il faut rajouter ceux qui sont situation d’extrême pauvreté (moins d’1 euro et 20 centimes par jour), que dans ces régions concerne 22,8% de la population [2].

Cette pauvreté et cette indigence est associée, bien sûr, aux revenus du travail, que reçoit la majeure partie de la population du monde du travail des campagnes et à l’absence de protection sociale. Dans cette situation, l’Etat a une grande responsabilité, en plus d’être une de ses fonctions : l’inspection du travail. Dans la pratique, l’inspection du travail est complètement inexistante dans les campagnes colombiennes, il faut compter sur à peine avec 456 inspecteurs pour tout le pays, soit un inspecteur pour 46.000 travailleurs.

Cette fonction devant s’exercer à partir du Ministère du Travail, oblige l’Etat à veiller, à ce que soit accompli les dispositions légales en relation, sur les conditions et la protection des travailleurs et travailleuse dans l’exercice de sa profession : heures de travail, sécurité, hygiène, et bien être, l’emploi de mineurs (enfants), les libertés syndicales et en plus les dispositions liées.

Incluant aussi de faciliter l’information technique et conseiller les employeurs et travailleurs, sur la façon la plus efficace d’accomplir les dites dispositions ; et finalement, mettre à la connaissance de l’autorité compétente les différences ou les abus qui ne sont pas spécifiquement couverts par elles.

En synthèse, la fonction d’inspection est une clef pour la sauvegarde des droits des travailleurs des campagnes, se transformant en action de contrôle, de conseil et d’information, et réglée en connaissance devant l’autorité compétente.

Ce travail, l’Etat ne l’accomplit pas, parce qu’il manque un nombre suffisant d’inspecteurs, et le peu existant se concentrent dans les principales villes et grandes agglomérations, laissant complètement sans protection le secteur agricole. Pire encore, les inspecteurs municipaux, ceux (des périphéries peri-urbaines) en rapport avec la plus grand nombre de violation des droits du travail ont sous leurs juridictions entre 8 et 10 municipalités.

Dans la pratique il est seulement possible de réaliser les consultations et conciliations de la commune dans laquelle se trouve le siège. De plus, fréquemment les inspecteurs se voient obligés d’annuler les visites d’inspections programmées ou ne pas visiter certains établissements, pour une simple raison, le ministère ne prend pas en charge les frais de transports.

De même, que la présente conjoncture de grève et de protestations paysannes ne peut ignorer le drame des centaines de milliers des travailleurs salariés du secteur agricole, et s’adresse à ceux qui ne les reconnaissent pas dans leurs droits. En partie, la violation de ces droits est la conséquence des conditions précaires des producteurs, à qui il n’est pas possible de remplir les conditions d’un contrat de travail.

Pour cela, il faut garantir, aux petits exploitants des conditions plus favorables de production et de distribution, contribuant à ce qu’il puisse remplir leurs obligations comme employeurs.

Mais, ce n’est pas assez.

L’Etat a aussi pour obligation de faire appliquer la loi sur le travail dans tout le pays, en sanctionnant les employeurs agricoles, qui sont en mesure de reconnaître les droits du travail de leurs travailleurs, parmi eux les droits à la liberté syndicale. Ils ne le font pas. Entre autres raisons, parce qu’ils sont certains qu’aucun inspecteur viendra enquêter et sanctionner.


Notes :

[1] Source : DANE. (Cálculos SAMPL-DGPESF) - Ministère du Travail de Colombie.

[2] En 2012 le seuil de pauvreté, selon la DANE, était de 202.083 pesos colombiens par personne (84 euros par mois) et l’indigence (l’extrême pauvreté) en dessous de 91.207 pesos (ou 37 euros par mois). (DANE, Pobreza monetaria y multidimensional en Colombia, 2012, boletín de prensa, 18 de abril de 2013).