lundi 26 août 2013

Colombie, les paysans toujours debout contre les inégalités

Au 8ème jour 
de la grève nationale 
"agraire" en Colombie

Par Lionel Mesnard

Au 8ème jour, le mouvement paysan ou agraire est toujours aussi actif et toujours autant réprimé, pendant que l’état invoque des violences paysannes, notamment dans le département de Boyaca et tente de discréditer le mouvement social s’impulsant dans les campagnes (plus timidement dans les grandes villes, sauf exception à Bogota). A chaque fois des heurts violents ont été constatés et provenant principalement des forces de l’ordre de police de l’ESMAD (les escadrons antiémeutes). Ils sont plus de 200.000 agriculteurs à s’être mis en grève en Colombie depuis le 19 août 2013, et la première source sur la toile ayant fait part de ce chiffre est venu du monde économique, s’inquiétant de la montée en puissance de divers mouvements sociaux dans les semaines et mois à venir en Colombie (présumant d’un futur mouvement dans les mines).

Autour de ce mouvement social se sont solidarisées un très grand nombre d’organisations comme le Conseil Régional des Autochtones du Cauca (CRIC son acronyme en espagnol), le MOVICE (Mouvement contre les crimes d’état), la gauche alternative (PDA), ou des centrales ouvrières comme la CGT et la CUT,

Ainsi que le collectif des journalistes et médias alternatifs pour la Paix que l’on retrouve sur Facebook à cette adresse :  « Alianza de Medios y Periodistas por la Paz »


1 - Inégalités et grandes propriétés foncières, la paysannerie colombienne exprime son malaise

Dans ce mouvement des petits exploitants se trouve le visage authentique du monde paysan colombien dans le tout le déploiement de sa diversité culturelle : Amérindiens, Afro-Colombiens, métis et familles des descendants des petits colons. De toutes petites exploitations faisant vivre généralement une famille nombreuse avec quelques hectares de terres. Quand une infime minorité (1 à 2% de la population) se partage 52% des espaces agricoles.

Avec toutes les précautions d’usage, une grande exploitation en France ne dépassera pas 2.000 hectares, en Amérique latine les grandes propriétés peuvent à l’échelle d’un petit département et atteindre les 900.000 hectares de Monsieur Benetton sur les terres de la Patagonie, en Colombie, l’ancien président Alvaro Uribe dispose au moins d’une propriété de 2000 hectares et il est plus que représentatif, des liens entre le pouvoir politique et les puissances d’argent pas vraiment vertueuses.

Le monde agricole colombien a deux visages. D’un côté les grands propriétaires dominent (ce que l’on dénomme en Amérique latine le latifundisme), et de l’autre la très majorité du monde paysan. Ce dernier se divisant entre une main d’oeuvre salariée (et surexploitée) et des petits agriculteurs de plus en plus réduits à la ruine par une logique économique où la Colombie tient pourtant une position non négligeable dans le domaine de l’agro-exportation. La Colombie contrairement à son voisin vénézuélien dispose d’une agriculture puissante, mais à l’image du pays, c’est-à-dire avec de très grandes inégalités.

 

Si les non citadins ne représentent que 25% de la population totale du pays (6% au Venezuela - données de l'Université de Sherbrooke), les petits agriculteurs organisent depuis quelques jours un mouvement, qu’il ne faudrait surtout pas confondre avec les FARC ou une quelconque branche politique, comme les dernières insinuations du gouvernement à l’encontre d’une colère et un mouvement légitime.

Un mouvement social ayant rarement connu une telle intensité depuis des lustres : des manifestations et des marches pacifiques dans de très nombreux départements et de nord en sud des blocages routiers. Et en même temps, ce même pouvoir schizophrène (lire l’article en relation)  cherche à criminaliser une fois de plus tout mouvement pacifique et en lui appliquant une loi brutale et pas vraiment respectueuse des droits humains. Et le tout au milieu d’un conflit armé ou les négociations avancent à petit pas, où régulièrement des combats ont lieu, mais dont seuls le commandement militaire connaît l’intensité des rixes et son nombre. 

Seuls les faits afférant à un enlèvement d’un étranger, les combats avec les morts des camps opposés sont publiés pour le reste, les éléments statistiques, les données sont difficiles à obtenir ou trouver, s’ils sont à jour, et quand il s’agit d’un mouvement social à dimension nationale, nombres de faits ne sont pas relayés ou diffusés par les médias de masse, notamment la télévision. 

2- La répression de l’ESMAD persiste en Colombie

Des milliers d’agents de l’escadron mobile anti-émeute (ESMAD) se sont déployés dans tout le pays pendant que le mouvement des paysans s’étendait de même dans le cadre de la grève nationale. Les 200 à 250.000 paysans mobilisés ont réalisé le blocage de 18 routes importantes et ce qui a occasionné l’isolement du département de Boyaca dans le centre de la Colombie, selon la chaîne Telesur.

Sur les réseaux sociaux, la population de Tunja (capitale du département de Boyaca) ont dénoncé comment les forces publiques de l’ESMAD ont interrompu dans les quartiers de Santa Inés et du 15 de Mai et ils ont arrêté des jeunes qui étaient en train de joueur au football sur un terrain de la zone et de la même façon, ils ont lancé des gaz lacrimogènes.

Le représentant à la chambre pour Boyaca Andrès Amaya a publié sur son compte tweeter qu’il dénoncerait « avec toute sa force tous les abus de l’ESMAD devant le Congrès et les organismes de contrôle » (#NoImpunidadESMAD #TienenQuePagar).

Le correspondant de Telesur, Milton Henao a également informé qu’il y avait eu trois blessés suite à une intervention de l’escadron anti-émeute sur la route de Pasto à Ipiales dans le département de Nariño. Soulignant que la police colombienne avait détruit des fenêtres d’habitations et portés des coups aux paysans qui protestaient.

En six jours, 175 personnes ont été arrêtées et il est à déplorer des dizaines de blessés à travers tout le pays. Si vous souhaitez suivre minute par minute les incidents de la grève nationale agraire en espagnol, Telesur a mis en place cette page sur STORIFY : cliquez ici !
  
Attention images pouvant heurtées un public sensible !

3 - Pourquoi les médias Colombiens ne reflètent pas la grève populaire et agraire  ?

Pour le professeur Rodolfo Arango a déclaré sur Contagio Radio (écoutez ici son entretien en espagnol), que les médias de communication dominants ont rendu invisible la grève pour des intérêts économiques se jouant entre les grands propriétaires des médias d’informations et le gouvernement. Toutefois, il a souligné le rôle important des médias alternatifs dans d’autres pays du monde, ainsi qu’en Colombie.

Si le mouvement social venait soit à s’amplifier, soit à perdurer, il est probable que l’économie colombienne pourrait en sortir affecter et inquiéter par ailleurs les marchés financiers et en particulier les investisseurs et qui plus est pourrait agir sur la croissance du pays sur les mois à venir.

Il va de soit que l’actuelle réponse du gouvernement est un aveu, non seulement de son incapacité à entendre les revendications paysannes, portant entre autres sur un meilleur accès à l’achat de terre pour les petits exploitants et non au transnationales de l’agroalimentaire, et à assurer des revenus acceptables. Mais pour cela, il faudrait  au gouvernement de Juan Manuel Santos mettre un holà aux multiples traités de commerce ou de libre-échange en cours : Etats-Unis, Japon, Union Européenne, Canada et la Corée du Sud, … et d’autres sont en perspectives.

En ce domaine, le président Santos n’a pas vraiment lésiné en deux ans promettant des emplois garce à cette ouverture des frontières à la sauce ultra-libérale (lire l'article en relation sur le blog). Comme il n’a pas hésité, non seulement à nier la situation de la dégradation du revenu des paysans, mais en plus à souder l’oligarchie colombienne, pour que les médias désignent les fauteurs de trouble comme de potentiels terroristes, si l’on s’en tient aux déclarations récentes de Monsieur Pinzon, ministre de la défense (ou plus exactement de la guerre).

4 - Des atteintes graves à la liberté de la presse

Comme il n’arrive jamais une calamité sans une autre en Colombie, de nombreuses atteintes à la liberté de la presse se sont déroulées ces 7 derniers jours. Ce n’est pas une nouveauté, le métier de journaliste laisse au tapis chaque année son lot de professionnel, dans un pays où la moindre critique contre les guérillas, les paramilitaires et les narco trafiquants, voire l’armée nationale ou le gouvernement peut s’avérer mortelle.

Les ordres « en place » légaux et illégaux n’aiment pas trop que l’on vienne enquêter de trop près et mettre à jour ce qui n’est souvent que des secrets de dupe, dans un pays qui commence à peine à exprimer, ce qui ressemble pour beaucoup à une fosse à purin. Au fil du temps ou de 60 ans de guerre civile, la règle est de se taire ou devenir une cible potentielle.

En quelques années, les associations colombiennes des droits humains, sociaux et culturels et des journalistes citoyens en résistance pacifique et civile ont appris à utiliser à bon escient les nouveaux outils de communication et venir un peu bousculer l’ordre d’une presse molle ou silencieuse face aux violence étatique.

Si le nombre de journaliste assassiné a baissé ces dernières années, néanmoins l’autocensure reste de mise et en dehors de quelques tribunes ou éditorialistes courageux, les médias dominants et à l’exemple de Caracol ou de RCN télévision sont d’une assez grande servilité, et à l’image de ces chaînes insipides, un canal de désinformation par excellence. Et les colombiens ne sont pas toujours très critique avec cet objet de divertissement qu’est la télé et consomme cette information, que nous connaissons tous finalement avec les chaînes de TV privées d’information en continue. Un ronron symptomatique des temps présent et de ce que le minimalisme télévisuel peut faire de plus absurde.

5 - Le travail des journalistes doit être respecté, adressée le 22 août 2013, par Christophe Deloire, Secrétaire Général de RSF :

(…) A partir du début de la grève nationale au moins une vingtaine de cas d’attaques contre des journalistes, la plupart appartenant à des médias alternatifs, ont été enregistrées en 48 heures dans huit départements différents.

Des enquêtes complètes et impartiales doivent être diligentées sur chacun de ces cas. A l’avenir, Reporters sans frontières demande au gouvernement colombien, et en particulier au ministre de la Défense, Juan Carlos Pinzón, et au nouveau directeur de la police nationale Rodolfo Palomino, de prendre les mesures nécessaires afin que les forces de l’ordre respectent le travail des journalistes et garantissent le droit à l’information des Colombiens. Nous demandons également que les forces de l’ordre assument leur rôle de protection les journalistes en cas d’altercation avec les manifestants.

En tant de garant de la Constitution colombienne et des traités internationaux ratifiés par votre pays, il vous appartient d’y veiller. La liberté d’information est un droit garanti par la Constitution (art. 20), qui prévoit également le journalisme doit bénéficier d’une protection permettant d’assurer sa liberté et son indépendance (art. 73).

Images colombiennes sur les violences de l'ESMAD

La Déclaration de principes sur la liberté d’expression du système interaméricain des droits de l’homme souligne que la liberté de l’information est un droit universel. L’opinion politique, toute autre opinion ne peut constituer un obstacle à l’exercice du journalisme. Elle affirme également que le fait de créer des obstacles à la libre circulation de l’information est une atteinte à la liberté d’expression.

La liste des agressions que nous avons recensées sera envoyée à diverses organisations internationales de protection des droits humains, afin qu’elles soient prises en compte lors de l’évaluation des mesures prises par l’État colombien pour respecter et garantir le travail des médias, qu’ils soient alternatifs ou commerciaux. (...)

Pendant cette mobilisation la guerre continue : Communiqué public des autorités du peuple Totoroez
 
Les affrontements armés mettent 
en danger le peuple TOTOROEZ

La population amérindienne Totoroez – se situant au nord-est du département du Cauca entre les villes de Totoró et Silvia – condamne les actions armées s’étant déroulées dans la matinée du 24 août 2013 à 1h30, à l’intérieur de son territoire, mettant une fois de plus en danger l’intégrité physique et provoquant une grande inquiétude parmi les habitants de la région de la Malvaseña. 

Ceci de 1h00 à 15h00 à la date citée, de fortes détonations se sont produites dans une ferme, sur la juridiction de notre territoire, apparemment dans le cadre d’une confrontation entre l’armée colombienne et la guérilla (des FARC-EP), nous ne savons pas à cette heure, quel a été le nombre de blessés ou de morts entre les groupes armés.

1 - Les actions de cette nuit sur notre territoire par ces acteurs (du conflit militaire), touche au droit de se mouvoir de la société et des autochtones, mettant en danger l’intégrité physique par de possibles engins explosifs (mines anti-personnels, bombes non éclatées) qui pourraient rester dans ces lieux.

2-  Nous ne sommes pas d’accord sur le fait, que sur la route de Totoró à Inzá se trouvait des pierres, des monticules et des destructions de voies, positionnant en non conformité (avec la loi) la communauté, puis se déroulant à l’intérieur de son territoire.

Comme peuple amérindien Totoroez, nous condamnons et à la fois nous regrettons notre voix non conforme devant ces actions armées à l’intérieur de notre territoire, la seule chose que cela engendre au sein de la communauté est de la panique et de l’angoisse.

Ainsi de même se transforme en doute et en confusion, ce que le gouvernement et les FARC-EP sur les avancées à CUBA sur les négociations pour avancer vers la Paix, nous savons à quel point les actions armées augmentent, sans que soient posées les conséquences et le plus préoccupant, s‘étant passé au milieu de la population civile en violant le droit à la vie dans le cadre des droits des autochtones et humains.

Vidéo  sur le peuple TOTOROEZ (en VO)

Article à consulter en relation :

Le blog de Delphine, « Grève nationale en Colombie »



Sources : RSF – Radio Contagio – Telesur  – CRIC – Euronews