samedi 20 juillet 2013

Haïti-France, vif hommage de Lyonel Trouillot à Léo Ferré !

Culture : Les Haïtiens 
rendent hommage 
à l’intemporel Léo Ferré

Par Chenal Augustin

1993-2013. Il y a vingt ans que, Léo Ferré, poète-compositeur-interprète, l’un des plus grands chansonniers français, a disparu, laissant une œuvre magistrale qui aura profondément marqué la chanson du XXe siècle. C’était un 14 juillet. A la veille de ce 20ème anniversaire, qui coïncide, en France, avec la commémoration de la prise de la Bastille, le centre culturel Anne Marie Morisset, à l’instigation de l’un de ses fondateurs, le célèbre écrivain Lyonel Trouillot, un fol amoureux de l’œuvre de Ferré, a marqué cet événement. Et quelques vidéos en ligne parmi le large répertoire d'un monument de la chanson et de la poésie francophone...

Une magnifique soirée de chansons, de textes poétiques, entrecoupés d’interventions, de témoignages sur l’œuvre et la vie de l’immense créateur français Léo Ferré a été organisée le vendredi 12 juillet 2013, au local du centre culturel Anne Marie Morisset, dans le cadre des Vendredis littéraires de l’Université Caraïbe. 

Elle a réuni, entre autres, les écrivains Lyonel Trouillot (en photo), Evelyne Trouillot, Bonel Auguste, Emmelie Prophète, le chansonnier et interprète Wooly Saint Louis Jean, les poètes Guy Gérald Ménard et Paul Harry Laurent. De jeunes lecteurs de la bibliothèque Ernst Trouillot, autour des comédiens et poètes Inéma Jeudi, Kermonde Lovely Fifi (chargée de la programmation et de l’animation au centre), ont pris part à cette soirée, déclamant des textes de Ferré.

Le match opposant les Grenadiers aux Trinidadiens a concurrencé la soirée : les invités n’étaient donc pas nombreux, la soirée devenant alors très intimiste. Et la petite assistance semblait apaisée, transportée sur les ailes des chansons aux accents classiques de Ferré, glissées par un DJ. 

L’atmosphère était sereine, tranquille et douce, se baignant dans « La mémoire et la mer », « Pépée », « Avec le temps » ou « Lettre ».


 


Ferré, l’humaniste


Vers 7 h 30, le chansonnier Wooly Saint Louis Jean démarre avec l’adaptation en créole de « La graine d’ananar », réalisée par la comédienne Jacqueline Scott-Lemoine. C’était une manière élégante d’introduire l’écrivain Lyonel Trouillot qui, d’entrée de jeu, parle d’un Ferré « humaniste » et ouvert à tout ce qui se faisait dans le monde. Un « Voltaire de l’époque contemporaine ».


 

« La géographie de Léo Ferré est immense », poursuit-t-il avec une fluidité verbale. Cet anarchiste, ce révolté dénonçait tout ce qui n’allait pas bien à ses yeux dans le monde. « Ferré était l’un des artistes les plus sensibles à la condition populaire, du pauvre, du vaincu », écrit François Mitterrand, cité par Lyonel Trouillot.


Ferré encore présent


Ferré est toujours d’actualité. Tout ce qu’il dénonçait (la misère, les injustices, les inégalités, la dictature....) existe toujours malheureusement, constate une assistante. « C’est triste que Ferré ait raison 20 ans après », avance cette femme qui veut garder l’anonymat.

Mais Ferré ne chante pas que des sujets sociaux, politiques. Il est aussi l’une des plus belles voix incarnant l’amour, la mélancolie, l’angoisse, la mort.

« Ferré, c’est un culte ! » lâche l’écrivain Lyonel Trouillot. Il en veut pour preuve les « Cahiers d’études Léo Ferré », une publication qui réunit, entre autres, les études des psychanalystes, des philosophes, des littéraires, des musicologues. Sans compter les nombreux ouvrages, et les rappeurs qui interprètent, revisitent son œuvre. Pour Lyonel Trouillot, Ferré est encore très présent, même quand il l’est au niveau d’un cercle réduit.


Ferré, le grand poète


La langue chez Ferré est très riche. « Il a cette capacité de mélanger divers registres du langage et les procédés poétiques. Il était même à l’écoute de la langue populaire », indique Lyonel Trouillot. Il est incontestablement un grand poète.

« Chez Ferré, il y a de belles et grandes images, des métaphores, au sens surréaliste », remarque l’écrivain Bonel Auguste. Il a été le premier chansonnier à entrer dans la célèbre collection « Poètes d’aujourd’hui » des éditions Seghers [du grand poète français Pierre Seghers], rappelle Lyonel Trouillot (Suivront Brassens, Brel et Azenavour). « C’est un grand maître de la rhétorique, non veillotte », ajoute le poète Paul Harry Laurent.

Ce poète ne se chante pas seulement. Il met en musique les textes des autres (des poètes qu’il aimait : Rutebeuf, Rimbaud, Verlaine, Baudelaire, Apollinaire, Aragon). « Aucun chansonnier ne le fait aussi bien que lui », pense Wooly Saint-Louis Jean, lui aussi, interprète et chansonnier, qui met en musique de nombreux poèmes d’auteurs haïtiens. « Dans ce domaine, Ferré est l’une de mes références. Il est incontournable », lâche-t-il.

Dans la musique de Ferré, on sent sa formation classique, et l’influence de l’opéra. Il fut d’ailleurs chef de plusieurs orchestres symphoniques, qu’il dirigeait en public ou dans des studios d’enregistrement.


 


L’œuvre de Ferré, « profonde et dangereuse »


La soirée d’hommage à Léo Ferré s’est transformée en débats, non moins agités, entre les écrivains Lyonel Trouillot et Bonel Auguste, autour de Brassens et Ferré. Bonel Auguste a vertement critiqué la position de Lyonel Trouillot consistant, selon lui, non sans provocation, à ériger l’œuvre de Ferré en absolu, et à traiter Brassens de « moyenâgeux », « d’anarchiste de droite », d’« amuseur ».

Lyonel Trouillot dit relever chez Ferré, aussi bien dans ses mélodies, harmonies, que dans sa poésie, des enjeux existentiels. « Son œuvre est profonde et dangereuse ». Il a cité Lobo (Karl Marcel Casséus), ce grand comédien haïtien, lui aussi, amoureux de Ferré (Lyonel Trouillot s’est vanté de le lui avoir fait découvrir), qui s’est suicidé à Paris en se défenestrant, alors qu’il écoutait ce jour-là du Ferré dans sa chambre d’hôtel.

Lyonel Trouillot s’est contenté de trop louer Ferré. Il n’a retenu chez lui aucun aspect négatif.

Bonel Auguste, tout en avouant l’aimer, veut relever, tant dans sa poésie que dans sa musique, quelques imperfections, des vers plagiés, son désir de ressembler à Beethoven, son compositeur préféré.

Wooly Saint-Louis Jean veut tempérer : « Ce ne sont pas les mêmes registres. Il ne faut pas chercher ces deux artistes dans le même domaine. Ils sont chacun de très grands artistes. »

La soirée d’hommage à Léo Ferré consiste, au-delà de la célébration du 20e anniversaire de sa mort, à le faire découvrir aux jeunes riverains de Delmas 41 et des quartiers avoisinants, précise Kermonde Lovely Fifi. Cette soirée inaugure une série que projette d’organiser le centre.

En France, les activités en hommage à Ferré se multiplient. Des ouvrages, des disques ont paru à l’occasion des vingt ans de son décès. 




Note d'accompagnement  :


Cette chronique est produite dans le cadre du programme de production et diffusion d’informations multimédia pour une meilleure appréciation des activités culturelles en Haïti. Il est mis en place par le Groupe Medialternatif et Caracoli, institutions impliquées dans la communication sociale et la promotion culturelle, avec le soutien de la Fondation de France et de la Fondation Culture Création à travers le programme FIL Culture.


Source : Alterpresse (Haïti)