mardi 16 juillet 2013

Colombie, revendications paysannes et violences d’Etat

Forte protestation paysanne 
et heurts violents dans le Catatumbo : Que se trame-t-il derrière tout cela ?

Par William Ospina - Notes et traduction de Libres Amériques

Dans un billet d’opinion récent, l’écrivain et journaliste William Ospina dans le journal El Espectador apporte un éclairage très tranchant sur l’état de la société colombienne. Pour expliquer les faits se produisant en Colombie et quasiment peu relayé dans l’espace francophone, dans la région du Catatumbo (département du Norte de Santader et frontalier du Venezuela) se déroule une forte protestation sociale, des milliers de petits exploitants agricoles manifestent leur désarroi depuis plus d’un mois. Une fois de plus les forces spéciales de l’ESMAD ont agi avec violence, et il est à déplorer 4 paysans morts à la suite d’affrontements au mois de juin 2013.

Et la semaine dernière quelques accrocs pas vraiment cordiaux ont eu lieu avec l’ONU dont nous fait part William Ospina. Monsieur Todd Howland, un émissaire des Nations Unies a provoqué une levée de bouclier du gouvernement. Lui reprochant, et selon un vocable très usité en ces temps, d’intrusion dans les affaires de l’état colombien, une marotte souverainiste très utile pour les autorités, quand, il est préférable d’éviter de parler des choses qui fâchent ou de la situation interne d’une nation disposant d’un état plus que faible et hautement liberticide.

Quand cela ne tourne pas au cynisme et à la défense de l’immobilisme ou du statu quo. Plutôt la guerre, que plutôt ces contestataires empêchant de tourner en rond… qui plus est de construire une démocratie saine et viable. Le mur de glace qu’une population entière doit chaque jour affronter.

Dans son billet William Ospina n’y va pas par 4 chemins, il exprime ce que des millions d’anonymes, bien évidemment colombiens pensent, mais ne peuvent le dire faute d’une démocratie pleine et entière. Cette spirale de la peur, dont il faut souhaiter qu’un jour, cette société se libère et puisse enfin exprimer la vérité qui lui plaît !

Le 11 juillet 2013, les négociations avaient été rompues par les autorités nationales, puis finalement elles ont repris le 15 juillet par l’entremise du vice-président, monsieur Angelino Garzón. Souhaitons que ces négociations puissent trouver une issue honorable pour toutes les parties, mais il reste en ce domaine beaucoup à apprendre de ceux qui veulent en finir avec ces états de fait meurtriers.

Les contestations paysannes devraient pourtant réjouir les artisans de la paix, ils demandent en particulier la fin des cultures de coca et des marchés ou trafics qui alimentent aussi bien les paramilitaires que la guérilla présente dans cette région. Les Colombiens ont soif d’un état stable et de démocratie, ils ne demandent rien d’autre qu’il soit mis fin aux violences d’état et que leurs droits les plus élémentaires soient enfin respectés.

Billet de William Ospina : Que se trame-t-il derrière tout cela ?

Quand, dans les autres pays, ils s’interrogent sur ce qu'il y a derrière les faits, ils essaient d'identifier les causes et quand ils se le demandent en Colombie, ils tentent de trouver un coupable.

 Au Brésil, après des années d'investissement dans la collectivité et un effort généreux pour réduire la pauvreté, le gouvernement de Dilma Rousseff, face au déclenchement des manifestations populaires appelant à l'approfondissement de la démocratie, donne aux manifestants une Constituante (l’élaboration d’une nouvelle constitution).

En Colombie, après des décennies d’abandon étatique, d'exclusion et de détresse citoyenne, le gouvernement, face au déclenchement des protestations (dans la région du Catacumbo depuis plus d’un mois), se demandait seulement ce que le diable faisait derrière le mécontentement populaire.

Jusqu'à quand appliqueront-ils pour les maîtres de ce pays, la stratégie consistant à quand les gens revendiquent et s'indignent, quand il éclate une exaspération devant une réalité déshonorante que personne ne peut nier, la cause doit être qu'il existe quelques infiltrés malveillants poussant les gens à manifester et à exiger ?

Lorsque les portes voix traditionnels de notre pays se demandent ce qui se passe dans le Catatumbo ? Nous pouvons être certain, ils ne vont pas découvrir derrière ces protestations l’injustice, la pauvreté et la négligence de l'Etat. Non : derrière doit être le terrorisme, quelque engeance de méchanceté et de perversité commises dans le pays ne s’appliquant pas.

Qui sait combien de temps, ils appliqueront la stratégie. Une stratégie très triste, très antidémocratique, mais qui n’a rien de nouveau. L’on s’étonne que les dirigeants colombiens aient cette froide capacité à ne pas apprendre de l'expérience, de répéter à l’infini une façon de diriger le pays dans lequel toutes les expressions non conformes sont toujours suspectes. Et il est possible qu’une infiltration existe, mais une hirondelle n’estompe pas la nuit.

Cela fait longtemps que protester en Colombie est synonyme de rébellion, de malveillance et de mauvaise intention. Il plane encore dans la mémoire de la nation, ce massacre des bananières, qui n'est pas une anecdote de notre histoire mais un symbole de comment sont toujours dirigées les affaires citoyennes.

Dans toute véritable démocratie, protester, exiger, manifester dans les rues est normal : c'est de cette façon dont les citoyens de plein exercice prennent conscience, réclamant leurs droits, montrant leurs forces et leurs puissances. Et partout le devoir de l'État est de gérer les conflits et d'écouter la parole citoyenne, de ne pas jeter de l’huile sur le feu de la répression tout en niant les causes réelles. 

Mais si un délégué de Nations Unies, dit ici, une vérité que nul n'ignore, que « la population de là-bas réclame à l'État depuis des décennies, le respect et la garantie des droits à une alimentation appropriée et suffisante, à la santé, à l'éducation, à l'électrification, à l'eau potable, aux égouts, aux routes, et l'accès à un travail digne » et qu’il y ajoute, que la mort de quatre paysans « indiquerait un usage excessif de la force contre les manifestants », cet État n’ayant jamais de réponses immédiates pour les questions de citoyenneté, ne tarde pas une seconde à protester contre une intrusion abominable dans les affaires internes du pays ; le Congrès s’arrache les lambeaux, les institutions expriment leur préoccupation, les forces vives de la patrie s'indignent et les médias s'alarment.

Personne ne demande si les Nations Unies ont dit la vérité, en défendant quelques êtres humains qui sont nos concitoyens, une vérité dont tout le monde devrait pouvoir parler, ainsi de même, quand nous parlons d’Obama et de Poutine, ou des droits de l'Homme en Chine. A ces forces si promptes à répondre, le fonctionnaire est sans respect au pays. Et l’absence de respect que le pays commet avec ses citoyens va restant ailleurs dans le brouillard, ne provoquant pas tant d'indignation.

Ainsi toujours il en fut. Ici, Dans les années 1960 et 1970 aux étudiants qui protestaient, ils ne montaient pas de scandale médiatique : ils montaient un procès-verbal de guerre. Tout semblait subversif. Les expressions les plus élémentaires de la démocratie : ce que les citoyens en France et au Mexique font tous les jours, et avec moins de motifs, ici justifiait qu’un étudiant soit amené devant les tribunaux militaires et ils le jugeaient comme un criminel dans un conseil de guerre.

Et les directeurs des médias d'alors qui étaient des parents et des oncles des actuels présidents et de candidats à la présidence ne voyaient aucune atrocité dans la conduite de l'État, mais ils se demandaient, comme toujours, quelle malveillance se cachait derrière ces étudiants diaboliques. (le propre de tout pouvoir paranoïaque ou logique perverse)

Toujours la même formule. Peut-être par elle on entend que, cela fait deux ans, qu’un ex. vice-président de la République (Francisco Santos Calderón, double cousin germain du président actuel Juan Manuel Santos), sans doute nostalgique de ces temps dans lesquels le seul rôle médias était d’applaudir l'État, se demandait devant une manifestation estudiantine pacifique pourquoi la police ne commençait pas à immobiliser tout de suite les séditieux avec des gourdins électriques.

Ce sont nos démocrates : la violence d'un État qui devrait être pour servir les gens et résoudre leurs problèmes, mérite ses « louanges » ; mais le peuple dans les rues qui est le vrai nom de la démocratie leur semble un crime. Peut-être par cela certains pensent que ce personnage devrait gouverner la Colombie : il ressemble tant à notre vieille histoire, qu'il serait le plus indiqué pour la perpétuer.

Maintenant : si les vérités que disent les Nations Unies, sont quelques interventionnismes ; si nous les disons aux Colombiens, nous sommes des subversifs : alors qui est-ce qui a ici le droit de dire la vérité ?

Et jusqu'à quand aurons-nous à demander la permission de le dire ?

Article en relation en espagnol « Le Catatumbo entre la guerre, la coca et la pauvreté » sur le site du Collectif d’avocats José Alvear Restropo, Cliquez ici !


 Vidéo en espagnol de l’Agence Prensa Rural :

Reportage : l’armée colombienne assassine 
des paysans dans une protestation pacifique 


Source d’origine : El Espectador (COLOMBIE)