mercredi 31 juillet 2013

Colombie, les facettes obscures du Procureur Ordóñez ?


Le procureur Ordóñez, 
l’inquisiteur homophobe 
et 
affinités néo-nazies

Par Lionel Mesnard

Cet article aurait pu se limiter à la reconnaissance des unions homosexuelles en Colombie par la Cour Constitutionnelle, mais il existe toujours dans ce genre de situation concernant l’égalité les couples hétéros et homos, des personnages prenant la tête d’un l’ordre moral et la défense des causes les plus perverses. En Colombie, le Président du Tribunal Suprême de Justice a pris la tête de la fronde contre la reconnaissance devant les notaires des unions homosexuelles et plus encore. Monsieur Alejandro Ordóñez est à lui seul un concentré pouvant rallier tout ce que l’on fait de bigot obscurantiste et d’ultra-droitier, et surtout met en lumière la pensée de ceux qui en Colombie oeuvrent contre la paix.

Si l’on pouvait dépeindre en quelques traits ou mots Alejandro Ordóñez (en photo), voici ce que l’on peut en penser : un croyant ultra-réactionnaire homophobe et partisan de la guerre et notamment contre l’émergence d’une véritable démocratie en Colombie. Et pour souligner un trait caractéristique, qui avait attiré l’attention de l’hebdomadaire Semana en avril 2013 (1), un fait finalement pas vraiment étrange furent ses « affinités » avec l’ancien chef, décédé des néo-nazis locaux, ce dernier connu pour son engagement dans le paramilitarisme dans la région très conflictuelle du Magdalena Medio.

Mr Ordóñez est un magistrat fait d’une seule pièce, tranché et pour le débat se vautrant dans l’insulte à caractère sexuel pour déstabiliser ses détracteurs, en bref un grossier personnage. Nous, nous trouvons-là avec un pathos chargé, un concentré utile pour saisir les contradictions d’une société en proie à des formes d’ultra violence ou les mots participent d’une danse macabre. Il a tout de ces accusateurs aux accents de la « sainte inquisition » et au prix du sang et des larmes, il est en quelque sorte un vestige d’un ordre moral très lointain et toujours très actif en Colombie.

Alejandro Ordóñez est issu du parti conservateur, il a connu une carrière notamment dans l’administration judiciaire colombienne, il est devenu Procureur Général de la République à la troisième présentation de sa candidature et il a été élu à la majorité simple. Il provoqua à son élection une forte controverse n’en finissant pas de rebondir ou de faire son œuvre de boule puante. Le procureur général élu en septembre 2012 à la tête du Tribunal Suprême de Justice (TSJ) depuis ne cesse de se faire remarquer par ses déclarations et frasques en tout genre. (2)

« Que les personnes qui sont proches de FARC sortent des chiottes ! » ou bien que Gustavo Petro (maire de Bogota) aurait selon lui consommé des hallucinogènes, ceci en raison de l’ouverture de lieux pour les toxicomanes dans la capitale, sont les petits mots doux que fait circuler le procureur général pour faire passer ses messages. Dans le premier cas, la sortie des « chiottes » peut s’apparenter à un appel au meurtre.

Il ne faut pas oublier que la Colombie vit au rythme des assimilations faciles, toute critique de l’ordre moral ou politique peut se solder par des menaces et le plus souvent par une admonestation du type : vous êtes un terroriste. Mais pas seulement, si vous êtes un acteur social ou journaliste, et que vos propos nuisent au bon ordre de la société ou à des intérêts économiques, vous pouvez vous dire que vous êtes en danger, et qu’un paramilitaire ou un tueur à gage peut surgir en tout lieu et vous abattre de sang froid.

Le procureur général Alejandro Ordóñez est un personnage qui n’est pas très difficile à cerner, il représente ce que la Colombie peut connaître de pire en vulgarité, à un niveau qui confine avec les caniveaux, ou l’insulte fuse au gré de l’actualité de son pays. A ce niveau de responsabilité et d’autorité, on imagine normalement mal un si haut dignitaire de la justice de l’Etat prendre position si vertement, et pourtant en ce domaine Mr Ordóñez passe régulièrement le « mur du çon »  (en référence à une rubrique du Canard Enchaîné).

Est-il admissible qu’il puisse dire en des termes crus - que le gouvernement et son président Juan Manuel Santos -  «  sont entrain de nous la mettre avec de la vaseline  », c’est-à-dire : la Paix ou son processus en cours ? Sachant qu’Ordóñez, n’a ni plus ni moins aussi demandé l’annulation des différentes décisions de la Cour Constitutionnelle sur les unions homos, en tant que premier magistrat du TSJ. Ce mélange des genres est injustifiable et plus que condamnable

Récemment, il a soulevé l’indignation jusque dans les rangs de ses comparses procureurs et notamment au sein de la communauté LGTB, qui se bat pour une reconnaissance des couples homosexuels et des droits à l’union. Un petit cataclysme dans une nation ou la haine des homosexuel-le-s et le machisme ne font qu’un, et il n’y a rien de très surprenant, qu’un tel personnage puisse défrayer la chronique, quand on connaît le niveau d’atteinte et de violence contre les communautés LGTB et Intersexués dans cette partie du monde.

Pour précision, le problème n’est pas que colombien et la décision intervenue depuis la fin juin est même une belle avancée du droit quand on connaît les pesanteurs et les carcans normatifs de la morale régionale ambiante. La Cour Constitutionnelle de Colombie, (l’équivalent du Conseil Constitutionnel français) a expressément demandé aux parlements de légiférer sur les unions homosexuelles, le 30 juin 2013 (3), sachant que dès à présent et suite à cette décision, les couples homos peuvent faire acte devant un notaire. Une petite révolution et un début de victoire d’un état de droit qui ne demande qu’à être !

Pas à pas la Colombie va être dans l’obligation de reconnaître les unions et pas seulement hétérosexuelles, comme aujourd’hui dans un nombre non négligeable de pays démocratiques, où les unions au sens large sont appliquées. En Colombie, cela ne peut qu’aussi agiter ou attiser les haines des mêmes, qui depuis des décennies sèment la terreur dans tout le pays. Les  « affinités » de Mr Ordóñez avec des composantes néo-nazis du paramilitarisme, laisse songeur, quand on sait qu’il fut Procureur général du Santander, une des régions les plus touchées dans l’histoire de la guerre en Colombie. Et étonnante coïncidence.

Ainsi resurgit l’aspect plus que venimeux de la « para-politique » (terme désignant les liens entre des politiques et le paramilitarisme), comme transpirant encore à pleine goutte le malaise non éteint des années noires de la présidence  d’Alvaro Uribe (2002-2010). Nous pourrions, ne pas nous étonner de décrire le phénomène aujourd’hui comme l’effet d’une approche de la justice sous l’angle « paramilitaire et inquisitoriale », et qui sait criminelle au sein même des instances suprêmes de la justice colombienne ? Mais heureusement le président du TSJ ne fait pas l’unanimité dans les professions et les hautes sphères judiciaires et provoque dans la société civile quelques nausées et peurs plus que compréhensibles.

Mr Ordóñez est le composé de ces « féodaux » qui ont agi depuis des siècles en Colombie et imposés un ordre social et politique digne des temps médiévaux les plus sombres, comme le met en avant dans sa chronique une jeune journaliste et blogueuse colombienne. (4) Un récent sondage d’un institut IFOP en Colombie donnait un jugement plus que négatif sur le fonctionnement de l’appareil judiciaire colombien, 71% des sondés n’ont pas confiance en son système et 52 % en son actuel Procureur Général. Certaines voix se sont élevées pour que ce personnage abject s’en aille. Le tragique derrière tout cela, c’est de voir une telle caricature à ce poste important.

Mais, il y a aussi un espoir fort pour que la paix entre dans un processus irréversible, et que cette guerre civile vieille depuis 1948 en finisse. Pour cela, il faudrait que cesse ce type de discours ténébreux, empreints de violence et de haine, que connaît que trop bien l’appareil répressif de l’état et ses tueurs patentés. En cause dans la mort de très nombreux civils (80% des victimes de la guerre sur les aux moins 220.000 morts des 50 dernières années), et que récemment le Président Santos a publiquement reconnu. Mais les crimes d’état n’ont pas pour autant cessé et c’est cette contradiction qu’il va falloir pouvoir dépasser et mettre au placard. Notamment en reconnaissant aux mouvements sociaux leurs droits de manifester, de revendiquer, sans devenir les cibles de l’ESMAD ou de l’armée colombienne.

Deux mouvements sociaux significatifs ont émergé en juin et juillet 2013 autour de la question des petits paysans du Catacumbo et des petits mineurs de Marmato. Où les voies du dialogue sont difficiles à établir et demande une pugnacité certaine aux acteurs sociaux, cibles privilégiés des tirs, au sens propre des réalités colombiennes, faut-il souligner. La démocratie est à ce prix et comme l’explique William Ospina, qui n’est ni plus ni moins la voix d’une Colombie consciente et demandant à pouvoir exercer ses droits comme au Brésil ou en France (5). 

Un Paix et une démocratie, que seul saint Thomas pourrait illustrer en un « je ne crois que ce je vois », et en l’état si la paix s’approche, la démocratie et la justice sociale et économique doivent en être les fondements. Si les Colombiens aspirent de plus en plus à vivre et s’exprimer librement après des décennies de terreur, c’est un processus lui aussi plus que nécessaire pour que toutes les forces vives de ce pays abordent le siècle présent, sans être des victimes silencieuses et violentées chaque jour par les différents pouvoirs s’affrontant pour la drogue ou les territoires.

Si par hasard, il vous venait à trouver de petites similitudes entre ce qui s’est passé ces derniers temps en France avec des groupuscules nazillons ou ultra-droitiers et la question du mariage pour tous, à vous d’envisager l’amplitude dans un pays en guerre, ou le machisme et croyances font bon ménage… Et le tout sur un volcan non éteint ou toujours en activité.

Pour conclure sur le proc. Ordóñez, c’est que la contamination des esprits libres tant décrié par cette logique proprement fasciste puisse faire son chemin et faire entendre une autre idée de la Colombie. Quand la question est posée de savoir si la Colombie vit encore aux âges sombres du Moyen-âge ? Avec un personnage si caricaturale, et miroir de cette société, il n’y a pas à douter qu’il en reste de fortes émanations et que les terres agricoles et minières actuelles et potentielles sont au centre d’un enjeu capitalistique ou financier considérable.

L’économie au service de tous, un développement partagé et la loi sont les  clefs de voûtes du futur des Colombiens, et certainement pas un système qui fait de la Colombie le troisième pays le plus inégalitaire au monde. S’il advenait un retour en arrière ou  à toujours renouer avec les fondamentaux du passé, c’est-à-dire imposer des dogmes et garder tout à soit au mépris du plus grand nombre, ce « féodalisme » meurtrier ou les maîtres de guerre agissent et sévissent en Colombie depuis le 16° siècle n’est pas près de finir.

Et nous sommes loin d’un « âge d’or » à la lecture de tels propos :  « Je dirais par exemple que les avocats sont le produit de la Révolution Française, lentement progressant jusqu’à un état d’orgie de droits » et que « la situation que nous rencontrons a été lentement introduite en nous, tout au long de 3 siècles (Ndt sous-entendu depuis les Lumières…), jusqu’à nous fragiliser mentalement et nous faire croire en toutes ces merdes et sottises que les romantiques nous ont inculquées. ».  (6)


Notes du texte

Les liens de 1 à 4 et 6 sont en en espagnol, la note n°5 est en français :


(1) L’héritage du nazi, SEMANA hebdo, cliquez ici !

(2) Les références sexuelles du Procureur Ordóñez, SEMANA Hebdo, cliquez ici !

(3) Le Cour reconnaît comme famille les couples de même sexe, EL ESPECTADOR, cliquez ici !

(4) Le procureur Ordoñez et la renaissance Moyenâgeuse Colombienne, KIEN y KE, cliquez ici !

(5) Forte protestation paysanne et heurts violents dans le Catatumbo : Que se trame-t-il derrière tout cela ?, Libres Amériques, cliquez ici !

(6) Le projet politique des néo-nazis, El Espectador, cliquez ici !