jeudi 18 juillet 2013

Brésil, vers une démilitarisation de la police de la dictature ?

“Sans violence” : 
Démilitariser 
la police au Brésil ?
Réaction aux violences flagrantes de policiers contre des journalistes et des civils  pendant les manifestations du mois dernier au Brésil, “Non à la violence” est devenu le cri de ralliement de la contestation. Ce débat sur la démilitarisation de la police militaire dans le pays n'est pas nouveau. Héritage de l'époque de la dictature (1964 à 1985) la police militaire est apparue comme une solution possible après la disparition des forces publiques représentées par la garde civile (Guarda Civil). Après le coup d'Etat de 1964, le nouveau pouvoir a abandonné l'idée de création d'une police civile et mis en place un modèle militaire. 

Aujourd'hui presque tout le travail d'une police urbaine au Brésil est réalisé par la Police Militaire sous les ordres du gouverneur de chaque État. C'est un cas unique au monde d'intervention d'une police militaire en dehors de ses casernes.

Les récentes manifestations ont relancé le débat à ce sujet. Le 1er juillet 2013, une réunion publique organisée dans le cadre du Musée des arts de Sao Paulo (MASP) par le groupe Ocupa Sampa, a abordé ce problème affronté dans les rues par les manifestants brésiliens. 

Túlio Vianna, professeur de droit pénal à l'Université Fédérale du Minas Gerais (UFMG), présent au titre d'intervenant invité, a développé l'idée que l'entraînement militaire est ce qui provoque des actions excessivement violentes de la part des policiers.  

Pour Vianna :
Un policier n'est pas là pour anéantir un ennemi. Le citoyen qui marche dans la rue, qui manifeste, ou même celui qui commet un crime, n'est pas un ennemi. C'est un citoyen qui a des droits et des devoirs et ceux-ci doivent être respectés.
En comparant la situation brésilienne avec celle des autres polices du monde, le professeur souligne, de plus que :
Lorsqu'une société opte pour une police militaire où ses propres membres subissent parfois des violences, lorsque que cette société opte pour une police qui exécute les ordres sans réfléchir, comment peut-elle obtenir que les droits d'un suspect ne soient pas bafoués ?
Le casse-tête des mouvements sociaux


La “Révolte de Catraca”, à Santa Catarina, en 2005, a été la première grande manifestation liée à la question des transports publics à retentissement national.  

Elle a été suivi de plaintes de manifestants blessés ou arrêtés au milieu d'un groupe pacifique comme le montre cette vidéo partagée par Vinícius (Moscão) :



A la périphérie de ces événements, “là où les balles ne sont plus en caoutchouc”, les homicides et actions violentes des agents de l'Etat bien que n'attirant pas l'attention des médias tous les jours, illustrent les problèmes liés à la militarisation de la police. C'est ce que souligne ”Justiça Global Brasil”, dans un article publié le 24 juin 2013.

Manifestations de ce type couvertes par Global Voices : la libération du rectorat de l'Université de São Paulo (USP), en 2011, après des manifestations étudiantes contre l'augmentation de la présence de la police militaire sur le campus ; la libération du Pinheirinho [fr], dans la ville de São José dos Campos, à São Paulo, avec plus de 6000 personnes expulsées de leurs maisons ; et la confrontation avec des manifestants qui protestaient contre la privatisation des espaces publics, à cause des travaux prévus pour la coupe du monde à Porto Alegre.

Mise en cause du système

Avec la quatrième plus grande population carcérale du monde et un développement des services privés de sécurité, il devient de plus en plus évident que le système ne fonctionne pas.

Des organismes comme Amnesty International, le Conseil des droits de l'homme de l'ONU, ou le Département d'Etat des Etats-Unis, se sont déjà exprimés en 2012 en demandant au Brésil d'en finir avec les groupes d'extrémistes dans certaines corporations et de mettre en place un processus de démilitarisation totale de la police.

Outre le fait de montrer un visage violent de la police militaire, les manifestations récentes révèle aussi qu'à l'intérieur de la “corporation” il y a des voix discordantes.

Après les premiers jours de manifestations à Sao Paulo, en juin, un militaire, ne se conformant pas aux ordres reçus a remplacé le gaz poivré par de l'eau. Ce soldat, Ronaldo, a ensuite utilisé les réseaux sociaux pour se justifier, son post a été partagé avec plus de 3000 internautes. 

Renvoyé peu de temps après, il déclare :
Le “gaz poivré est un agent agressif violent utilisé sans nécessité dans la pluspart des cas, notre corporation ne peut fermer les yeux sur cela. Et, de plus, ces manifestations sont pacifiques et totalement légitimes.
L'importance de cette prise de conscience est croissante dans les professions concernées. Parmi les 40 résolutions approuvées dans le cadre de la Première conférence nationale de sécurité publique [pdf en portugais], réunie à Brasilia en 2009, deux insistaient sur la nécessité d'une démilitarisation. 

Dans une enquête (en portugais) diffusée par le Secrétariat National de la sécurité publique (SENASP), sur 64.000 agents de sécurité interrogés, 40.000 soutiennent cette orientation. Au niveau des policiers militaires l'adhésion est encore plus importante atteignant 77%.

Une proposition d'amendement à la constitution qui autoriserait les Etats à démilitariser et unifier leur police militaire est en cours de traitement au Sénat. Cette PEC 102, rédigée par le sénateur Blairo Maggi, a été utilisée comme un bannière par les policiers eux même lors des grèves développées dans tout le pays au début de 2012. 

Cette proposition donnerait aux policiers le droit de faire grève et de se syndiquer, ce qui est aujourd'hui interdit par la constitution car ils sont soumis à un code de conduite et de discipline militaire.

Sur Twitter, des internautes soutiennent cette proposition sous le mot-clic #PEC102. @willcjc a écrit :
@willcjc : Démilitariser et unifier les polices sera se débarrasser des structures répressives mises en place par la dictature, oui à la  ‪#PEC102 !
Cette proposition ne fait toutefois pas l'unanimité. Pour l’Association nationale des procureurs de la République [pdf en portugais], elle est  ”inconstitutionnelle“ car elle s'oppose à des principes fondamentaux comme la séparation des pouvoirs et la forme fédérative de l'État. 

Cette association conteste la création prévue dans la PEC d'un Conseil National de Sécurité et déclare:
(..) La police n'a pas une autonomie fonctionnelle, elle ne peut être façonnée par un “Conseil”. Soutenir la création d'une police indépendante c'est aller contre le principe de séparation des pouvoirs.
Le débat n'en est de toute évidence qu'à son début. C'est ce qu'a déclaré Antônio Carlos, président du Groupe de défense des droits de l'homme Rio de Paz, lors d'un entretien avec le périodique Jornal do Brasil :
Nous sommes en train de vivre un moment historique, et il faut en profiter pour notre lutte. Le pays a besoin de ce changement mais du fait d'un esprit corporatiste il n'y a pas encore d'avancée significative.

NB : Ce billet fait partie du dossier de Global Voices sur la “Révolte du vinaigre“


Source : article et photos Global Voices