lundi 24 juin 2013

Venezuela, les universitaires en grève pour les salaires !

Les universités 
vénézuéliennes 
en grève pour plus 
de moyens financiers 

Par Laura Vidal · Traduit par Celine Arnoldi

Plusieurs protestations ont eu lieu dans certaines des plus importantes universités du Venezuela et après diverses discussions, une grève générale a été annoncée. La revendication centrale est les salaires des professeurs d'université qui, malgré leur formation et expérience, sont parmi les innombrables professionnels qui ne peuvent joindre les deux bouts. Ce n'est certes pas nouveau. Néanmoins, avec les mouvements erratiques de l'économie vénézuélienne et les heurts entre groupes politiques, le combat de l'université devient de plus en plus compliqué.

Ainsi, avec les controverses qui ont eu lieu au cours des récents mois entre les représentants du gouvernement et les universités publiques, le nouvel épisode d'un long conflit est en train de s'écrire.

Le problème des universités est aussi inévitablement nourri par la polarisation politique. 

Les positions sont fragmentées et diversifiées. L'argument avancé est que les concessions demandées ont beaucoup à voir avec des intérêts politiques cachés, l'efficacité de la grève universitaire est mise en doute, des accusations de sabotage apparaissent et différents types de protestation sont expérimentés.

Soutenant la grève des enseignants, Gustavo Coronel [espagnol] critique sévèrement le gouvernement et intègre la lutte des professeurs d'université dans des dynamiques nationale et internationale :
… combien paient-ils les professeurs d'université vénézuéliens ? Et quand ? ils les paient aujourd'hui, en bolívars [monnaie vénézuélienne], un quart de ce qu'ils étaient payés en 1999 [...] Donc il n'est pas surprenant que les professeurs vénézuéliens se mettent en grève. C'est une marche inévitable. Telle une grève civile illimitée pour une population qui n'a pas de papier toilette [...]
Coronel continue :
Promouvoir une forte protestation est putschiste ? Demander au pays de s'insurger c'est attenter à la nation ? Ou est-ce, précisément, essayer d'empêcher la nation vénézuélienne d'être totalement détruite par un gang de voyous et d'incapables enkystés dans le pouvoir ?
Cette fausse logique du régime tient de nombreux Vénézuéliens sous un chantage. La même opposition organisée s'est vue forcée d'agir avec précaution, craignant d'être catégorisée de putschiste.
Raquel Aquino interroge Tatiana Lugo, une enseignante retraitée de l'Université Centrale du Venezuela (UCV) et auteur du blog Vainas de Tatiana [espagnol], pour El Pretexto [espagnol]. 

Dans l'entretien, elles parlent de l'identité de ceux qui constituent une partie de l'université, notamment l'Université Centrale, ainsi que des causes et conséquences de la situation des enseignants et de leur mouvement de protestation.
Les enseignants de l'UCV sont une espèce rare : ils choisissent un style de vie qui, d'une part, leur donne la satisfaction de transmettre la connaissance et l'immense honneur d'aider à façonner des professionnels dont le Venezuela a besoin, mais d'autre part les empêche d'avoir une stabilité économique.
Scandaleusement, depuis les années 1980 le gouvernement vénézuélien a décidé, fautivement, d'ignorer l'importance de la formation universitaire [...] les étudiants manquent de laboratoires modernes, de technologie appropriée, les chercheurs et bibliothèques sont délaissés.
Dans le même billet, elle révélait les coûts de produits de base et les comparait avec le salaire d'enseignant (source : l’Association des Professeurs de l'UCV [espagnol], mai 2013) :

Dans la même perspective sur son blog, ven-educa, Yonathan Ruiz [espagnol] voit la situation des universités et la grève comme une démonstration de la mauvaise volonté des responsables de l'enseignement supérieur et déplore que malgré les opportunités économiques du pays, le secteur éducatif se retrouve à lutter pour son financement :

Le fait que les éducateurs des universités publiques doivent quitter leurs salles de classe et descendre dans la rue pour demander et défendre leurs droits inhérents à leur haute tâche est un symptôme sans équivoque de la mesquinerie de ceux qui auraient pu éviter cela mais ne l'ont pas fait. [...]
Si le pays, en pratique l'Etat, ne traite et ne rétribue pas suffisamment le talent des éducateurs, ce sera extrêmement difficile pour nous de surmonter les coûts énormes que nous subissons avec la crise socio-culturelle qui nous a conduits jusque là.
Comme nous l'avons fait remarquer, les positions se diversifient. En diverses secteurs de l'opinion publique vénézuélienne, la grève universitaire est perçue comme un moyen érodé et inefficace. 

David Da Silva [espagnol], un étudiant en études internationales à l'UCV l'explique et commente la position des syndicats dans le conflit :

A mon avis, les grèves dans le secteur universitaire ne peuvent pas avoir le même poids politique et économique qu'une grève de travailleurs dans les industries de base de Guayana, à titre d'exemple. Celle-ci mènerait à une diminution de production d'aluminium, acier, et fer, qui compromettrait significativement la continuité de la grande mission Vivienda Venezuela.
La grève dans l'enseignement supérieur, cependant, affecte principalement la communauté universitaire.
Au regard de la situation des employés administratifs de l'université, il maintient :
Certains mouvements ou groupes d'étudiants qui s'identifient eux-même avec la gauche politique, et pourtant maintiennent une attitude pro-gouvernementale, ont essayé d'élever au plan politique la situation vécue par le personnel universitaire, ce qui ne me semble pas exact, car cela déforme une réalité syndicale et salariale et d'autres sujets qui sont complètement hors contexte.
Dans une vidéo partagée par Isabel Matos (en bas de page et en VO), un certain nombre de professeurs de l'Ecole des Langues modernes (de l'Université Centrale du Venezuela) témoignent. Ils expliquent combien ils gagnent, ce qu'ils paient avec leur salaire, les autres activités dont ils ont besoin pour finir le mois, et les conséquences que cela peut avoir sur leur performance dans le cadre des activités universitaires.

Apportant une vision beaucoup plus critique, le Professeur Pablo Aure [espagnol] explique pourquoi est contre la grève universitaire, bien que partageant divers arguments discutés et ayant été pénalisé, il dit, pour son désaccord :
Nous sommes en train de perdre la meilleure plate-forme que sont les classes de classes ou les couloirs pour avoir des conversations avec nos étudiants et collègues sur la situation nationale.
Si vous pensez qu'arrêter l'université “adoucira” le coeur de ces personnes qui visent délibérément à nous éliminer : vous vous trompez.
Mon appel vise à la réflexion et à penser à ces milliers d'étudiants qui ont leur projet de vie, et aussi à ces milliers de familles qui ont fait des sacrifices pour payer l'éducation de leurs enfants.
Heriberto Gómez explique depuis la ville de Mérida, dans l'ouest, quelques-unes des conséquences de la grève universitaire sur Aporrea [espagnol] :
- Chaque jour de cours qu'un étudiant perd, il ne le récupérera jamais dans sa vie. Ce sera un jour de perdu à jamais, même si le cours leur est enseigné plus tard
- A ULA [Université de Los Andes], pour chaque journée de travail perdue à cause de la grève, 4 millions de bolívars sont gaspillés.
[...]
- Pour les étudiants extérieurs à Mérida ou des villes où se trouvent leurs centres d'études, un jour de grève signifie une importante perte économique pour eux et leurs parents, puisqu'ils doivent aussi payer la chambre, les repas et les autres coûts quotidiens, bien qu'ils ne soient pas en cours.
Parmi la liste des causes, l'auteur pointe aussi les possibles intentions, selon lui, des les meneurs de la grève des enseignants :
Il y a d'autres intérêts cachés derrière la grève, menée qu'elle est par des professeurs avec une étiquette politico-partisane clairement opposée au gouvernement national. Ainsi leurs revendications salariales sont satisfaites, tandis que leurs intérêts politiques et personnels sont différents.
Lors de la publication de ce billet, les universités d'Etat avaient déclaré une grève illimitée.
Cependant, la majorité des communications a lieu de manière publique, dans les médias traditionnels et à travers les médias citoyens.

Les campus universitaires demeurent fermés et les universités, contestataires ou qui font cours s'expriment dans l'espace numérique et dans les rues.

 


Source : Global Voices