vendredi 28 juin 2013

Salvador, les victimes de la torture continuent à espérer

La mémoire collective 
pour revitaliser 
les droits humains 
au Salvador

Par  Sergio Ferrari et Philippe Sauvin

Suite aux accords de paix de 1992 qui ont mis fin au conflit armé et après les années de règne du parti de droite ARENA (Alliance Républicaine Nationaliste), le Front Farabundo Marti de Libération Nationale (FMLN) accède au gouvernement en 2009, inaugurant ainsi une nouvelle étape politique du pays.“L’arrivée du FMLN au gouvernement a amené des avancées réelles pour le peuple salvadorien tant sur le plan social que sur le plan économique, mais il a devant lui plusieurs tâches importantes, notamment en ce qui concerne les droits humains”, signale Miguel Montenegro, lors de son passage en Suisse à la fin de mai dernier.

Un livre à valeur morale

La publication du livre « Séquelles psychosociales de la torture » est un moyen de montrer au peuple salvadorien et au monde entier les traces perverses de la torture qui était pratiquée systématiquement dans le pays et dont les conséquences sont encore douloureuses après trente ans. 

« Les séquelles psychosociales de la torture continuent à affecter les victimes, même plusieurs décades après la guerre civile”, signale l’introduction du livre.

L’engagement social de Montenegro naît dans les communautés catholiques de base dans les années 80, alors qu’il commence tout jeune à militer pour les droits humains et dans la CDHES, ce qui l’amènera à souffrir personnellement la prison et la torture.

« Ce rapport », explique-t-il, « permet de socialiser le passé dans le présent. Un exercice nécessaire de reconstruction de la mémoire collective, un antidote face aux violations présentes et futures des droits humains ».

La valeur documentaire et morale de ce livre est considérable pour Montenegro. Il a été élaboré en prison, au cours de trois années où ont été récoltés sur le vif les témoignages, et aussi les dessins illustratifs, des détenus qui ont subi les pires tourments dans les différentes casernes de la police et de l’armée nationale et qui, ensuite, ont été internés dans le plus grand pénitencier du pays.

A la fin du conflit armé, le Salvador a vécu un processus de quatre périodes successives de gouvernement de droite dominé par ARENA dont le principal fondateur est Roberto D´Aubuisson, lié aux groupes paramilitaires et considéré comme l’auteur intellectuel de l’assassinat de l’évêque Monseigneur Oscar Arnulfo Romero en 1980.

La répression féroce exercée pendant les douze années de guerre civile, de 1980 à 1992, s’est soldée par un bilan très lourd: 80’000 assassinats, 7’000 disparus, des milliers de détenus torturés. La répression a touché principalement la population paysanne, majoritaire dans ce pays qui est deux fois plus petit que la Suisse et compte aujourd’hui plus de 6 millions d’habitants.

La violence systématique de cette époque, n’ayant pas été prise en compte immédiatement dès la fin de la guerre (à partir des accords de paix de Chapultepec en 1992), “a contaminé le processus de pacification et de reconstruction de l’état de droit”. C’est là  la thèse principale de la publication du CDHES. Les structures qui exerçaient cette répression se sont reconverties partiellement en main-d’œuvre bon marché, pour mener des “opérations de nettoyage social, de crime organisé et d’élimination sélective de personnes”.

L’impunité ou les sanctions pénales qui ne tiennent pas compte de la gravité des délits et le fait de n’avoir pas ratifié les accords internationaux contre la torture  préparent même un terrain “propice à la répétition de faits similaires” à ceux du passé, selon Montenegro.

Des défis pour le futur

“Il est clair que depuis 2009 jusqu’à aujourd’hui, il y a eu des avancées significatives concernant les droits humains, sociaux et économiques”, souligne Montenegro en guise de bilan. Même si on constate que “le secteur des entreprises privées est réfractaire au projet de développement national mis en avant par le gouvernement”, pour rester en accord avec les intérêts politiques de l’opposition de droite.

D’autres problèmes restent importants. Malgré une réduction drastique ces derniers mois, “ la violence sociale reste très préoccupante avec six à sept assassinats quotidiens”, ce qui oblige le gouvernement à trouver de nouvelles solutions pour dépasser cette situation. Il serait essentiel aussi de corriger les faiblesses du système de Justice exposé à de nombreuses pressions.

Le pays doit absolument faire de nouveaux pas en avant. Un de ces pas serait de “ratifier certains Accords internationaux, comme par exemple le document des Nations Unies : le Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Cela pourrait renforcer le cadre institutionnel du combat ouvert et définitif contre tout type de torture ou de violation des droits humains », insiste.

« Le pays va de l’avant », conclut Montenegro. Mais il est primordial qu’un prochain gouvernement approfondisse son engagement auprès des secteurs les plus marginalisés, tout comme auprès des victimes de la torture d’hier et auprès des victimes des violations des droits humains d’aujourd’hui, qui continuent toutes à espérer …


Source : Le Courrier (Suisse)