mercredi 1 mai 2013

Paradis fiscaux, des milliers de milliards de dollars au soleil

L’existence 
des paradis fiscaux 
n’est pas une fatalité

 

Par le CNCD (Belgique)

Les révélations du consortium international de journalistes d’investigation sur la finance offshore ont levé un coin du voile sur ces trous noirs de la finance qui sont au cœur de la mondialisation. Les montants en jeu sont en effet faramineux : les sommes illicitement placées dans les paradis fiscaux sont comprises entre 21 et 32.000  de milliards de dollars ; la moitié des flux financiers internationaux transite par les paradis fiscaux ; le tiers des flux mondiaux d’investissements des firmes transnationales leur sont destinés, ce qui implique notamment que les îles Barbade, Bermudes et Vierges Britanniques reçoivent davantage d’investissements que l’Allemagne ou le Japon. Les flux illicites fuyant chaque année les pays en développement par le biais des paradis fiscaux représentent dix fois le montant total de l’aide publique au développement (1).

Contrairement à une idée fausse, le problème ne se réduit pas aux comportements illégaux ou immoraux de certains fraudeurs, entreprises ou particuliers, qui ne représentent que la pointe de l’iceberg d’un véritable système mondial qui favorise l’évasion fiscale au détriment des recettes publiques des Etats. Une situation qui apparaît de plus en plus inacceptable à une époque où les Etats opèrent des coupes sombres dans les budgets sociaux et d’aide au développement au détriment des populations les plus vulnérables. Ce système n’est toutefois pas une fatalité, car des réformes législatives déterminées peuvent ramener un minimum de justice fiscale dans le monde.
 
Il est également faux d’imputer la responsabilité de cet état de fait à de prétendues fiscalités confiscatoires (comme l’a notamment affirmé à propos de la Belgique Thierry Afschrift dans Le Soir du lundi 8 avril 2013) : ceux qui souffrent le plus de la pression fiscale sont les entreprises plus petites et les ménages modestes et moyens, souvent incapables de recourir aux techniques d’optimisation fiscale. 

Rappelons ainsi qu’en Belgique, alors que l’impôt des sociétés est fixé à 33,99% et effectivement assumé par la plupart des PME, le taux effectivement payé par l’ensemble des sociétés est en moyenne de 10%, ce qui s’explique largement par les techniques d’optimisation fiscale des grandes firmes transnationales. Parallèlement, alors qu’un salarié belge gagnant 40.000 EUR par an paiera 14.000 EUR d’impôt (35%), un actionnaire enregistrant une plus-value de 40.000 EUR en vendant des actions ne paiera pas le moindre impôt du fait de l’absence de taxation des plus-values boursières. L’« enfer » fiscal belge n’est donc pas une réalité pour tout le monde.

Le système de l’injustice fiscale mondiale s’articule autour de plusieurs éléments, dont l’opacité qui permet de masquer le propriétaire ou le bénéficiaire effectif de revenus derrière des sociétés off shore et des contrats de « trust », et le secret bancaire qui empêche l’échange automatique d’informations entre autorités fiscales. Il n’y a pourtant ici non plus aucune fatalité : l’échange automatique d’information peut et doit devenir la norme internationale, malgré la résistance des Etats récalcitrants qui tirent directement profit du système. 

En Europe, le récent assouplissement de la position de l’Autriche et du Luxembourg ouvre la voie à un système européen d’échange automatique d’information toutefois limité aux revenus d’intérêts. Aux Etats-Unis, la loi FACTA imposant à toutes les institutions financières dans le monde de communiquer les informations concernant les résidents américains entrera en vigueur en 2014, tandis que cinq pays européens (Allemagne, France, Espagne, Italie, Royaume-Uni) plaident pour un « FACTA européen ». De même, dans le cadre notamment de la révision en cours de l’arsenal législatif anti-blanchiment de l’Union européenne, il est possible d’exiger un registre public des bénéficiaires effectifs des sociétés et des trusts. 






Les systèmes fiscaux sont pour l’essentiel nationaux, alors que l’économie est devenue mondialisée. C’est donc un jeu d’enfant pour les entreprises multinationales de déplacer artificiellement les profits vers les paradis fiscaux, et ainsi échapper à une bonne part de l’impôt, comme l’ont notamment récemment démontré les affaires Google, Amazon et Starbucks. La solution à ce phénomène consiste à obliger les firmes transnationales à publier une comptabilité qui précise quels sont leurs activités, leur chiffre d’affaires, leurs bénéfices et leurs impôts dans chacun des pays où leurs différentes filiales opèrent. 

Cela permettrait de faire la lumière sur la technique d’optimisation fiscale la plus répandue et qui consiste à manipuler les « prix de transfert » concernant les échanges de composants entre filiales d’un même groupe, permettant ainsi aux firmes transnationales de déclarer la majorité de leurs profits dans des filiales localisées dans des paradis fiscaux, plutôt que dans les pays où ils ont effectivement été réalisés, et ainsi échapper à une bonne part de l’impôt. 

Cette simple transparence serait bienvenue non seulement pour les contribuables, mais aussi pour les actionnaires et les investisseurs. Malgré l’opposition féroce des lobbies industriels et financiers, des réformes de ce type sont en passe d’être réalisées dans le secteur extractif (aux Etats-Unis et en Europe) et dans le secteur bancaire (dans l’UE uniquement). L’heure est venue d’aller plus loin et de faire la lumière dans tous les secteurs et dans tous les pays, en se donnant les moyens de définir les bénéfices consolidés des firmes à l’échelle mondiale. 






A côté de ces réformes structurelles, des mesures plus simples sont possibles dès aujourd’hui. En Belgique, la société publique d’investissement dans les pays en développement, BIO, investit aux Iles Cayman et à l’Ile Maurice, comme le font d’ailleurs l’ensemble des banques publiques de développement (Banque mondiale, lire la note 2, BEI, BERD et autres banques nationales semblables à BIO), ceci au nom d’un business model impliquant de passer par des paradis fiscaux pour trouver des co-investisseurs privés dans les pays en développement. 


Quels que soient l’impact des investissements de BIO, cette situation a ceci de pervers qu’une émanation de l’Etat crédibilise les paradis fiscaux que le fisc est censé combattre et qui favorisent par ailleurs la fuite des capitaux dans les pays en développement que BIO est censé aider. Cela participe aux incohérences qui continuent d’affecter l’efficacité du développement et auxquelles le ministre Labille s’est engagé à répondre.

En définitive, la lutte contre les paradis fiscaux représente un enjeu majeur en matière de justice fiscale et de financement du développement. Les solutions sont connues et il ne manque plus que la volonté politique internationale que le scandale de l’Offshore Leaks semble raviver. L’existence des paradis fiscaux n’est donc pas une fatalité.

Notes :

(1) On appelle ’Aide publique au développement’ les dons ou les prêts à des conditions financières privilégiées accordés par des organismes publics de l’OCDE ou de l’OPEP. Il suffit donc qu’un prêt soit consenti à un taux inférieur à celui du marché (prêt concessionnel) pour qu’il soit considéré comme une aide, même s’il est ensuite remboursé jusqu’au dernier centime par le pays bénéficiaire. Les prêts bilatéraux liés (c’est-à-dire que le pays destinataire doit utiliser l’aide pour l’achat de produits du pays prêteur) et les annulations de dette font aussi partie de l’Aide publique au développement. 

Outre l’aide alimentaire, on peut distinguer trois grands types d’utilisation des fonds ainsi dégagés : le développement rural, les infrastructures, l’aide hors projet (financement des déficits budgétaires ou de la balance des paiements des pays aidés). C’est ce dernier poste qui augmente le plus. Cette aide est « conditionnée » par la réduction du déficit public, la privatisation, la bonne conduite écologique, l’attention aux plus pauvres, la démocratisation, etc. Toutes ces conditions sont définies par les principaux gouvernements du Nord et le couple Banque mondiale/FMI. Cette aide passe par trois canaux : l’aide multilatérale, l’aide bilatérale et les ONG.



(2) Créée en 1944 à Bretton Woods dans le cadre du nouveau système monétaire international, la Banque possède un capital apporté par les pays membres et surtout emprunte sur les marchés internationaux des capitaux. La Banque finance des projets sectoriels, publics ou privés, à destination des pays en développement. Elle se compose des trois filiales suivantes :

1. La Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD) octroie des prêts concernant de grands secteurs d’activité (agriculture, énergie, etc.).

2. L’Association internationale pour le développement (AID) s’est spécialisée dans l’octroi à très long terme (15 ou 20 ans) de prêts à taux d’intérêts nuls ou très faibles à destination des pays à faible revenu.

3. La Société financière internationale (SFI) est la filiale de la Banque qui a en charge le financement d’entreprises ou d’institutions privées de pays en développement.

Avec l’accroissement de l’endettement, la Banque mondiale a, en accord avec le FMI, développé ses interventions dans une perspective macro-économique. Ainsi la Banque impose-t-elle de plus en plus la mise en place de politiques d’ajustement destinées à équilibrer la balance des paiements des pays lourdement endettés. 

La Banque ne se prive pas de « conseiller » les pays soumis à la thérapeutique du FMI sur la meilleure façon de réduire les déficits budgétaires, de mobiliser l’épargne interne, d’inciter les investisseurs étrangers à s’installer sur place, de libéraliser les changes et les prix. Enfin la Banque participe financièrement à ces programmes en accordant aux pays qui suivent cette politique, des prêts d’ajustement structurel depuis 1982. Types de prêts accordés par la Banque mondiale :

1. Les prêts-projets : prêts classiques pour les centrales thermiques, le secteur pétrolier, les industries forestières, les projets agricoles, barrages, routes, distribution et assainissement de l’eau, etc.

2. Les prêts d’ajustement sectoriel qui s’adressent à un secteur entier d’une économie nationale : énergie, agriculture, industrie, etc.

3. Les prêts à des institutions qui servent à orienter les politiques de certaines institutions vers le commerce extérieur et à ouvrir la voie aux transnationales. Ils financent aussi la privatisation des services publics.

4. Les prêts d’ajustement structurel, censés atténuer la crise de la dette, qui favorisent invariablement une politique néo-libérale.

5. Les prêts pour lutter contre la pauvreté.
 

Source CNCD