jeudi 23 mai 2013

Mexique, évolution du narcotrafic et cartels actifs ?

Quels sont aujourd’hui 
les principaux 
cartels mexicains ?

Lorsqu’ils abordent la question du narcotrafic au Mexique, les médias français usent et abusent du terme « cartel », sans toutefois approfondir cette notion, si bien que de nombreuses interrogations demeurent en suspens : Quels sont aujourd’hui les principaux cartels mexicains ? Sont-ils similaires ou présentent-ils chacun des particularités ? Quels territoires contrôlent-ils ? Éléments de réponses dans cet article.

L’évolution du narcotrafic au Mexique au cours des dernières années

 Depuis quelques années, le nombre d’organisations criminelles liées au trafic de drogues ne cesse d’augmenter au Mexique. La guerre entre les narcotrafiquants mais aussi et surtout la stratégie anti-criminalité du gouvernement, basée sur la militarisation du conflit et l’élimination des chefs des cartels, ont provoqué une fragmentation du crime organisé.

Le cas de l’organisation Beltran-Leyva illustre parfaitement ce phénomène. Entre 2008 et 2009, les forces de sécurité mexicaines neutralisèrent ses deux principaux dirigeants, l’un étant arrêté et l’autre abattu. Privé de ses leaders, l’organisation Beltran-Leyva, autrefois très influente, déclina rapidement. Pire, le cartel dut faire face à des scissions internes, certains chefs régionaux décidant de créer leur propre organisation. La décapitation du clan Beltran-Leyva entraîna notamment une fragmentation du crime organisé à Acapulco [1] c’est à dire l’émergence de plusieurs bandes criminelles (rivales) dans cette ville.


En 2006, six cartels majeurs dominaient la quasi-totalité du trafic de drogues au Mexique [2]. Désormais, le nombre de groupes criminels liés au narcotrafic s’élèverait à environ 70, la majorité étant des petites et moyennes organisations. L’émergence de nombreuses bandes locales, issues notamment de scissions avec d’importants cartels, est particulièrement visible dans les Etats du Guerrero (Ouest) et de Jalisco (Ouest), deux régions où la situation sécuritaire est particulièrement précaire.

Cependant, malgré la fragmentation du crime organisé, plusieurs cartels conservent encore une influence nationale, certains d’entres eux poursuivant même leur expansion. Analyse des 5 principales organisations criminelles mexicaines liées au narcotrafic.

La Fédération du Sinaloa
  
La Fédération du Sinaloa est considérée aujourd’hui comme l’une des organisations criminelles les plus puissantes à l’échelle mondiale, la première au niveau mexicain. Le nom de « Fédération » s’explique par le fait que plusieurs organisations alliées mais gardant cependant un certain degré d’autonomie composent ce cartel dirigé par le célèbre Joaquín « El Chapo » Guzmán, classé 55ème dans le classement Forbes 2011 des personnalités les plus puissantes du monde, devant le Président mexicain de l’époque, Felipe Calderón.

Le succès de la Fédération du Sinaloa s’explique en partie par sa capacité de corruption. Ce cartel est en effet l’organisation criminelle bénéficiant aujourd’hui du plus grand nombre de soutiens parmi les dirigeants politiques, les décideurs économiques et les forces de sécurité du pays. Alors que la plupart de ses rivaux ont essuyé de lourdes pertes au cours des dernières années, la Fédération du Sinaloa a été relativement épargnée par les autorités, au point que plusieurs personnalités ont accusé l’administration Calderón (2006-2012) de protéger ce cartel.

Cette organisation criminelle bénéficie également d’une image « plus respectable » que certains de ses rivaux, notamment les Zetas. La réputation de la Fédération du Sinaloa veut en effet que ce cartel privilégie la corruption plutôt que les balles, les alliances plutôt que les conflits. Au cours des dernières années, le groupe d’El Chapo Guzmán a cependant participé à des affrontements particulièrement longs et sanglants, notamment pour le contrôle de la ville frontalière de Ciudad Juarez [3]

Au niveau de l’implantation géographique, la Fédération du Sinaloa opère dans environ 17 Etats mexicains, principalement dans l’ouest et le nord du pays, et contrôle une grande partie de la frontière allant de Tijuana à Ciudad Juarez. Ce cartel est par ailleurs l’organisation criminelle mexicaine la plus influente sur la scène continentale, avec une présence importante en Amérique centrale (Panama, Costa Rica, Nicaragua, Honduras et Guatemala), en Amérique du Sud (Colombie, Pérou, Paraguay et Argentine) et dans les Caraïbes (République Dominicaine). 

Par ailleurs, la Fédération du Sinaloa est présente aux Etats-Unis où elle collabore avec de nombreuses pandillas [4]. Enfin, la présence de ce cartel a été détectée dernièrement dans plusieurs pays d’Europe [5], d’Afrique et d’Asie.

Les Zetas

Outre la Fédération du Sinaloa, l’autre organisation criminelle mexicaine ayant actuellement une influence nationale et internationale est le cartel des Zetas.

Ce groupe mafieux présente la particularité d’avoir d’abord été conçu comme une force paramilitaire faisant office de bras armé pour le cartel du Golfe, avant de devenir autonome [6]. A la différence des autres organisations criminelles du pays, les Zetas ont été constitués par des déserteurs de l’armée mexicaine, notamment par d’anciens soldats d’élite, ce qui confère à ce groupe une solide discipline interne et une maîtrise des techniques militaires [7].

Les Zetas se considèrent d’ailleurs d’avantage comme une organisation militaire dont le but est de contrôler un territoire plutôt que comme un groupe de narcotrafiquants. Ainsi, l’objectif prioritaire de ce cartel est de prendre possession d’une zone géographique et d’obliger tous les acteurs criminels[8] y opérant à payer une sorte d’impôt. Ainsi, les Zetas n’ont pas à établir eux-mêmes les infrastructures liées aux activités criminelles, notamment en ce qui concerne le trafic de drogues.

Contrairement à la Fédération du Sinaloa, qui a choisi d’adopter un « profil discret », le cartel des Zetas est considéré comme l’une des organisations criminelles les plus brutales à l’échelle mondiale. Les atrocités (décapitations, tortures, attentats contre les forces de sécurité,…etc.) sont en effet devenues la marque de fabrique de ce groupe qui utilise la terreur comme un moyen psychologique pour prendre l’avantage sur ses rivaux et intimider les autorités. A cause du recours quasi-systématique à la violence extrême, les Zetas sont devenus l’ennemi public numéro un pour une partie importante de la population mexicaine mais également pour le gouvernement.

Au niveau géographique, les Zetas ont connu un essor considérable au cours des dernières années, au point de devenir l’organisation criminelle dominante dans l’est du Mexique[9] et d’avoir une présence dans environ 17 Etats du pays. Par ailleurs, cette organisation paramilitaire-mafieuse est également présente en Amérique centrale, plus particulièrement au Guatemala où elle participe activement à la dégradation du contexte sécuritaire local.

Le cartel du Golfe (CDG)

 Le cartel du Golfe, la plus ancienne organisation criminelle mexicaine liée au narcotrafic, dominait autrefois les régions de l’est du pays. Mais depuis plusieurs années, ce groupe mafieux a été considérablement affaibli par les opérations des forces de sécurité[10] et le conflit avec son ancien bras armé, les Zetas. Par ailleurs, le CDG fait face depuis plusieurs mois à d’importantes divisions, deux factions d’affrontant en effet pour le leadership du cartel. Cette lutte interne serait notamment la cause du pic de violence observé en mars dernier à Reynosa (Tamaulipas, Nord-est).

Le nombre de territoires dominés par le cartel du Golfe a donc sensiblement diminué au cours des dernières années. Cette organisation criminelle demeure néanmoins influente dans le nord-est du Mexique, notamment dans l’Etat du Tamaulipas où elle contrôle les villes frontalières de Reynosa et Matamoros[11]. Le CDG est également présent en Amérique centrale comme en témoigne la capture récente [12], par les forces de sécurité costaricaines, d’un important membre de ce cartel chargé de superviser l’envoie de cocaïne du Panama jusqu’au Mexique.

Les Chevaliers Templiers (Knights Templar)
  
Cette organisation criminelle est un cas particulier dans l’univers du narcotrafic au Mexique. Comme la Familia Michoacana, dont ils sont issus, les Chevaliers Templiers se présentent comme un groupe de défense du peuple [13] d’inspiration religieuse.

Les références à la religion et à l’histoire sont en effet la principale particularité de ce cartel. Le nom du groupe fait ainsi référence à un ordre militaro-religieux chrétien fondé au 12ème siècle et dont l’objectif était d’assurer la sécurité des pèlerins en Terre Sainte. Les membres des Chevaliers Templiers doivent également prendre part à des cérémonies d’initiation durant lesquelles les participants portent des tenues évoquant les chevaliers du moyen-âge. 

En 2011, cette organisation distribua aux habitants de Morelia (Etat de Michoacán, Ouest) un livret intitulé « Code de l’honneur des chevaliers templiers du Michoacán», un document mélangeant un code de l’honneur mafieux avec la mythologie « templière ». Enfin, au cours de l’année suivante, ce cartel déclara un cessez-le-feu durant la visite de Benoit XVI au Mexique.

Au vu de l’expansion des Chevaliers Templiers au cours des dernières années, l’utilisation de symboles liés à la religion et à la mythologie s’est avérée être une véritable réussite. Ainsi, comme l’affirme le journaliste britannique Ioan Grillo, spécialiste du narcotrafic, « les aspects spirituels servent de ciment pour renforcer la discipline de l’organisation. Toute idéologie, aussi bizarre qu’elle soit, confère à un gang la direction et la justification de tout ce qu’il fait. Ils ne mènent pas simplement une guerre, cela devient une guerre sainte ».

En se présentant comme un groupe d’inspiration chrétienne luttant contre l’injustice et le vice, les Chevaliers Templiers ont également cherché à se démarquer des autres organisations criminelles et à obtenir les faveurs de la population locale. Ce groupe finance d’ailleurs de nombreux projets dans le Michoacán (notamment la construction de routes et d’écoles), ce qui lui assure le soutien d’une partie des habitants de la région.

Mais derrière ces apparences, la réalité est implacable. Les Chevaliers Templiers sont avant tout un groupe mafieux se consacrant à diverses activités criminelles [14] et capable de commettre les pires atrocités. Au cours des dernières années, ce cartel s’est étendu au niveau géographique. Outre son fief du Michoacán, il est désormais présent dans d’autres régions du centre et de l’ouest du Mexique comme le Guanajuato, le Morelos, le Guerrero et l’Etat de Mexico.

Le Cartel de Jalisco Nueva Generación (CJNG)

 Le Cartel de Jalisco Nueva Generación est probablement l’organisation criminelle mexicaine dont le développement a été le plus rapide au cours des deux dernières années. Cette organisation criminelle, qui agissait auparavant comme bras armé de la Fédération du Sinaloa[15], serait désormais le 3ème cartel le plus important du pays selon Insight Crime, le site de référence sur la criminalité en Amérique latine.  Outre son fief du Jalisco (Ouest), le CJNG est en effet présent dans les Etats de Colima (Ouest), de Nayarit (Ouest), du Michoacán (Ouest), de Guanajuato (Centre) et de Veracruz (Est).

Alors que le Cartel de Jalisco Nueva Generación faisait auparavant des Zetas leur cible prioritaire, ce cartel s’estime désormais assez puissant pour s’attaquer à d’autres organisations criminelles. Au début de l’année, des affrontements particulièrement meurtriers ont ainsi opposés le CJNG aux Chevaliers Templiers pour le contrôle de la zone limitrophe entre les Etats de Michoacán et de Jalisco.

Les alliances

 L’histoire des cartels de la drogue au Mexique est faite d’alliances, de trahisons et de retournements de situation. Actuellement, la coalition de narcotrafiquants la plus puissante du Mexique est composée de la Fédération du Sinaloa, des Chevaliers Templiers et du cartel du Golfe. Les Zetas seraient pour leur part alliés avec l’organisation Beltran-Leyva. Enfin, le Cartel de Jalisco Nueva Generación ne semble pas avoir établi d’alliance particulière à l’heure actuelle.

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Notes : 

[1] Acapulco était l’un des bastions de l’organisation Beltran-Leyva.
[2] Parmi ces cartels, l’organisation Beltran-Leyva, le cartel de Tijuana, le cartel de Juarez et la Familia Michoacana ont connu un importants déclin et ne font plus partie aujourd’hui des organisations criminelles dominantes même si elles restent actives dans certains régions. Les deux autres groupes mafieux, la Fédération du Sinaloa et le cartel du Golfe, conservent pour leur part une influence nationale.
[3] Un affrontement contre le cartel de Juarez qui a culminé en 2010 et au terme duquel la Fédération du Sinaloa est sorti vainqueur.
[4] Des gangs de rue composés d’hispaniques se consacrant principalement à la vente de drogues au détail.
[5] Notamment en Espagne où plusieurs membres présumés de la Fédération du Sinaloa on été arrêtés.
[6] En 2010, le cartel du Golfe et les Zetas se séparèrent et entrèrent en conflit.
[7] Cependant, la proportion d’anciens militaires tend à diminuer au sein des Zetas. Ce cartel, comme ses rivaux, a en effet de plus en plus recours aux membres des gangs de rues.
[8]  Trafiquants de drogues, trafiquants de personnes, voleurs, kidnappeurs, contrebandiers,…etc
[9] De la frontière avec le Guatemala jusqu’à la ville de Nuevo Laredo (Nord-est), l’un des plus importants points de passage entre le Mexique et les Etats-Unis.
[10] Plusieurs leaders du cartel du Golfe ont ainsi été capturés ou éliminés au cours des dernières années, principalement par les forces de sécurité mais également par des cartels rivaux.
[11] Le CDG est implanté depuis plusieurs décennies dans ces deux localités et bénéficie du soutien d’une partie de la population locale.
[12] En juillet 2012.
[13] Les Chevaliers Templiers se présentent ainsi régulièrement comme les défenseurs du peuple de l’Etat du Michoacán (Ouest), son fief historique.
[14] Principalement le trafic de drogues et l’extorsion.
[15] Depuis l’année dernière, le CJNG est indépendant vis-à-vis de la Fédération du Sinaloa.


Source : Latinactus