samedi 2 mars 2013

Mexique, arrestation d'une dirigeante syndicale corrompue?

Arrestation 
de “La Maestra”, 
la puissante dirigeante 
syndicale mexicaine



Par J. Tadeo - Traduction de Sarah Labetoulle

Elba Esther Gordillo Morales, présidente du Syndicat National des Travailleurs de l'Éducation (“SNTE”) et personnage polémique de la scène politique mexicaine a été arrêtée ce mardi 26 février 2013 pour blanchiment d'argent. Pendant plus de 20 ans, Elba Gordilla, alias “La Maestra” ["la Professeur"], a dirigé la SNTE, sans doute la plus grande organisation syndicale d'Amérique latine.


“La Maestra” a également fondé Nueva Alianza, parti politique minoritaire qui, lors des élections de l'an dernier, a présenté Gabriel Quadri de la Torre comme candidat à la présidence de la République.

Elba Gordillo est accusée du délit fédéral “d'opérations avec des fonds d'origine illicite”, plus connu en français sous le nom de “blanchiment d'argent”, puni d'une amende et de 5 à 15 ans de prison. Son arrestation, ordonnée par l'autorité judiciaire, a eu lieu dans l'État de Mexico alors qu'Elba Gordillo débarquait à l'aéroport dans un avion privé en provenance des États-Unis.

Le délit mentionné ci-dessus est considéré comme grave par la loi pénale mexicaine. Ceci signifie principalement que l'inculpée ne pourra pas obtenir de liberté conditionnelle sous caution pendant toute la durée du procès. Il n'est pas écarté que d'autres délits lui soient imputés par la commission, notamment celui de fraude fiscale, ou qu'elle fasse l'objet d'une enquête et soit jugée comme membre de la délinquance organisée, ce qui impliquerait des peines plus sévères.

Après son arrestation, Elba Gordillo a été internée au Centre de Détention Santa Martha Acatitla du District Fédéral.

L’évènement a suscité de nombreuses réactions au Mexique, que ce soit pour se réjouir ou pour exprimer un certain scepticisme.

Le journaliste Carlos Puig a ainsi décrit le pouvoir possédé par “La Maestra” depuis son arrivée à la tête du SNTE :

    En 24 ans, l'importance de Madame Gordillo s'est accru, alors qu'elle amassait argent et pouvoir. Elle a compris que sa force dépendait essentiellement de ce qu'elle pourrait obtenir pour ses affiliés et elle a su être généreuse : privilèges, petites attentions, salaires, postes. Là-bas, ils l'adoraient. Ils en firent leur chef pour tout et pour toujours. Elle a violemment affronté son parti et quand elle s'est lassée, elle en a créé un autre. Elle a profité du peu d'expérience du PAN [Parti d'Action Nationale au pouvoir de 2000 à 2012] pour obtenir des postes au gouvernement et un rôle direct dans l'élaboration de la politique éducative.

    Elle a commencé à faire étalage de ses richesses, il était de notoriété publique qu'elle passait une grande partie de l'année dans le quartier le plus luxueux de San Diego ; elle affichait ses goûts de luxe, sa passion pour les avions privés. Elle a ignoré les sondages révélant qu'elle était peu appréciée. Dans les enquêtes de popularité, elle figurait dans les dernières places, associée à la corruption, au cynisme.

    Tout comme elle avait été témoin des actions de Salinas, elle a vu Zedillo utiliser la force du gouvernement et la PGR [ministère de la justice] pour éliminer ses adversaires politiques, sans en tirer de leçon.

    Elle se croyait à l'abri. Peut-être a-t-elle cru qu'elle avait toujours affaire au PAN. Et elle a tiré sur la corde jusqu'à ce que celle-ci se rompe.


Quant au journaliste Carlos Loret de Mola, un des principaux détracteurs d'Elba Gordillo, il en dresse le portrait suivant :

La personne qui a fait le plus de mal à l'éducation au Mexique, la dirigeante syndicale qui a volé l'argent des professeurs pour s'enrichir, la femme qui a privé les salles de classe des enfants d'argent pour son profit personnel est derrière les barreaux. On s'en souviendra comme du “Quinazo” du président Enrique Peña Nieto.

Pour comprendre cette déclaration, rappelons que le “Quinazo” fait référence à un épisode du début du sextennat du président Carlos Salinas de Gortari, en 1989, lorsque ce dernier fit arrêter un autre dirigeant syndical, Joaquín Hernández Galicia, surnommé “la Quina”.

Celui qui fut par deux fois candidat à la présidence de la République (et opposant véhément du régime actuel), Andrés Manuel López Obrador, a décrit en ces termes l'arrestation de Mme Gordillo : Cherchant à asseoir sa légitimité, EPN [Enrique Peña Nieto] le corrompu a recours au quinazo contre son ex-acolyte. Il renforce le salinisme comme politique. Us d'un autre temps.

L'utilisatrice Claudia Flores abondait dans son sens :

Au final, cette histoire avec la maestra, c'est juste un règlement de comptes, comme toujours au Mexique.

L'universitaire Ciro Murayama a profité de l'occasion pour se moquer d'un des principaux journalistes du pays qui se trouvait alors à l'étranger, à la recherche d'un possible scoop à Rome :

López Dóriga, avec son flair de journaliste, nous informe en direct de Rome des nouvelles de Toluca.

L'utilisateur Esteban Salinas a rappelé l'objet central de ce type de délits : l'argent.

Ils ont fini par arrêter Gordillo mais j’espère que, contrairement à ce qui se passe d'habitude, ces milliards ne vont pas disparaître comme par magie. Qu'ils soient restitués !

Fernando Iglesias en a profité pour exprimer sa joie suite à l'arrestation d'Elba Gordillo :

Des arrestations comme celle d'Elba Esther Gordillo me remplissent d'espoir et de joie. Ces voleurs comme elle et Deschamps doivent payer pour leurs abus.

Le Dr. Miguel Carbonell, chercheur et meneur d'opinion dans le domaine juridique au Mexique, notait :

Comme il s'agit d'un procès pour délinquance organisée, les délais sont deux fois plus longs. Le juge dispose de 6 jours pour délivrer un mandat d'arrêt dans les formes.

Carbonell s'est également exprimé au sujet du centre pénitencier dans lequel Elba Gordillo a été placée : Une chose est sûre : on ne dort pas aussi bien dans la prison de santa Martha Acatitla qu'à San Diego, Californie.

La nouvelle de l'arrestation d'une personne comme Elba Gordillo est un signe fort dans la société mexicaine, qui a subi pendant des décennies les pires outrages de la classe politiques et des pouvoirs de fait tels que le SNTE et autres syndicats. Les réactions vont certainement se poursuivre dans les prochains jours, mais le procès de “La Maestra” ne fait que commencer.


Source : Global Voices