lundi 4 février 2013

Colombie, quand Bogota se retire du Pacte de Bogota

LE RETRAIT 
DE LA COLOMBIE
 DU PACTE DE BOGOTA 
DE 1948

Par Nicolas Boeglin (1)

Le 29 novembre 2012, le Secrétariat général de l ́Organisation des États américains (OEA) a reçu la note officielle par laquelle la Colombie dénonce le Traité américain de règlements pacifiques, mieux connu sous le nom de « Pacte de Bogota », signé dans la capitale colombienne en 1948 et ratifié par la Colombie le 14 octobre 1968. Il s ́agit d ́un traité régional historique en matière de règlement pacifique des différends (abondamment cité dans nombre de manuels, notamment dans les chapitres relatifs au règlement pacifique des différends (2).


Sur le plan juridique, ce traité-cadre a servi et continue de servir de base pour invoquer la compétence de la CIJ dans la plupart des différends entre États de la région (3). C ́est tout dire de l'importance que revêt ce traité pour la CIJ, pour les États, et pour la stabilité d ́une région comme l ́Amérique latine. Ce même traité a également servi dans le passé pour le règlement des différends entre États sous une autre modalité (arbitrage, commission d ́enquête, etc.).

UNE DÉNONCIATION REGRETTÉE

Le Pacte de Bogota, qui point de vue historique constitue une avancée remarquable du droit international public dans l ́immédiate après-guerre, prévoit comme bien des traités la possibilité pour tout État partie de le dénoncer. 

Le Secrétaire général de l ́OEA a immédiatement fait part de son regret dans un communiqué officiel (4) à peine connue la décision de la Colombie. Celle-ci semble répondre à la profonde frustration au sein de l ́opinion publique colombienne provoquée par la décision de la Cour internationale de Justice (CIJ) prise 10 jours auparavant, le 19 novembre 2012, concernant le long différend maritime avec le Nicaragua (5). 

Cet arrêt de la CIJ, qui provoquera sans aucun doute bien des réactions au sein de la doctrine, a réaffirmé la souveraineté de la Colombie sur les sept formations insulaires en discussion, et a procédé à définir la nouvelle frontière maritime d ́une façon quelque peu complexe entre les deux États, à la surprise de la Colombie. 

Le juge français à la CIJ, Ronny Abraham, a joint son opinion individuelle à l ́arrêt (6) en indiquant que : « je comprends que la Cour veuille donner à tous ceux qui l’observent, et d’abord aux États, le sentiment qu’elle ne procède pas de manière arbitraire pour parvenir à une solution équitable, mais qu’elle met en œuvre des techniques éprouvées et constantes. 

Et il est parfaitement vrai qu’il n’y a aucun arbitraire dans la démarche de la Cour, mais seulement la recherche scrupuleuse de la meilleure solution. Il est cependant des affaires qui se présentent en des termes tellement spécifiques qu’il est, à tout prendre, préférable de reconnaître que la Cour doit s’écarter de sa technique habituelle, en expliquant pourquoi, plutôt que de sacrifier la clarté et l’intelligibilité à l’apparence d’une illusoire continuité ».

Les motivations données pars les autorités de la Colombie à la presse en vue de justifier le retrait au Pacte de Bogota indiquent que la Colombie cherche avec cette décision à se prémunir d ́autres requêtes devant la CIJ en la matière. Dans les déclarations données par le président de la Colombie, on lit même que « jamais, jamais plus nous ne devrons vivre ce que nous avons vécu avec la décision du 19 novembre proférée par la Cour internationale de Justice» (7)

UNE AUTRE OPTION JURIDIQUE

Malgré les assurances de l ́ancien président de la Colombie Alvaro Uribe de respecter l ́arrêt de la Cour, quel qu ́il soit, ainsi que les déclarations de la ministre des Relations extérieures de la Colombie données à la presse au mois de mai 2012 (une fois terminées les plaidoiries orales à La Haye), les vents semblent avoir changé à Bogota depuis la lecture de l ́arrêt le 19 novembre 2012. 

Toutefois, plusieurs options se présentaient à la Colombie afin de limiter la compétence future de la CIJ en matière maritime ou territoriale, dont celle (parmi bien d ́autres), d ́émettre une réserve au Pacte de Bogota. Il s ́agit d ́ailleurs d ́une option à laquelle ont eu recours par le passé plusieurs États au moment de signer ce traité en 1948 (Argentine, Bolivie, Équateur, États-Unis, Nicaragua, Pérou et Paraguay); ou bien, au moment de ratifier le Pacte de Bogota (Bolivie et Chili). Ces réserves à foison font d ́ailleurs partie des raisons avancées par El Salvador en 1973 pour procéder au retrait du Pacte de Bogota. 

Dans sa note du 24 novembre 1973, cet État précisait en effet, entre autres aspects, que « les réalités mises en évidence au cours des temps, en raison du manque de ratification de la part d ́un grand nombre de pays qui l ́ont signé, démontrent que le système structuré par le Pacte de Bogota n ́est pas efficace au vu des buts qui l ́ont inspiré, et qu ́il n ́est pas acceptable pour de nombreux États américains, car un certain nombre l ́a signé ou ratifié avec des réserves, et les nouveaux membres de l ́organisation ne se sont pas tous adhérés a ce Pacte ».

Cependant, la Colombie, dans le cas présent, s ́est décidée pour l ́option juridique d ́un retrait officiel au Pacte de Bogota, décision largement annoncée et diffusée par les autorités.

UN SYSTÈME UN PEU MOINS INTERAMÉRICAIN

Ce retrait intervient moins de deux mois après du retrait du Venezuela de la Convention américaine relative aux droits de l ́Homme, pour des raisons bien différentes (8). Dans un cas comme dans l ́autre, ces dénonciations de traités régionaux considérés historiques ou emblématiques tendent à fragiliser le système normatif en vigueur. 

Elles viennent également compliquer singulièrement le fonctionnement du système interaméricain institué dans le cadre de l ́OEA. Dans le cas du Pacte de Bogota, on se doit de rappeler qu ́en plus de la Colombie et d’El Salvador, certains États ont signé le Pacte de Bogota, mais ne l'ont jamais ratifié, à savoir : l ́Argentine, Cuba, les États-Unis et le Venezuela. 

Enfin, cette liste doit être complétée par les États anglophones de l ́OEA qui n ́ont ni ratifié ni même signé le Pacte de Bogota, à savoir : Antigua et Barbuda, la Barbade, les Bahamas, le Belize, le Canada, Dominique, Grenade, le Guyana, la Jamaïque, Saint Kitts et Nevis, Sainte Lucie, Saint-Vincent-et- les-Grenadines, le Suriname et Trinité-et-Tobago.


CONCLUSION

Ce retrait de la part de la Colombie du Pacte de Bogota ressemble davantage à un coup de tête et à une manœuvre politique pour répondre à la frustration de l ́opinion publique colombienne qu ́à un acte juridique raisonné et raisonnable. 

Il serait d ́ailleurs souhaitable de comparer cette attitude à d ́autres modalités prises par des États « à chaud » à la suite d'une décision de la CIJ considérée comme leur étant défavorable (notamment lorsqu ́il s ́agit d ́un État puissant au plan militaire ou économique qui voit ses ambitions limitées par une décision de la CIJ à la demande d ́un État qui l'est beaucoup moins). 

Par exemple l ́attitude de la France vis-à-vis de la CIJ après l ́affaire des essais nucléaires dans les années 70, ou encore celle des États- Unis à la suite de la requête du Nicaragua donnant lieu à un arrêt historique de la CIJ en 1986. Au-delà de cet exercice de politique juridique comparée, il sied de noter qu'avec ce retrait, la Colombie devient probablement le premier État au monde à dénoncer un traité international portant le nom de sa capitale.

Notes :

(1) Diplômé de l ́Institut d ́études politiques (IEP) de Strasbourg, LLM (Institut universitaire européen de Florence, Boursier Lavoisier), Docteur en droit (Université de Paris II). Actuellement professeur de droit international public à la Faculté de Droit, Universidad de Costa Rica (UCR).

(2) Dans certains manuels de droit international public, le Traité interaméricain d'assistance mutuelle (plus connu par ses sigles en espagnol « TIAR »), signé a Rio de Janeiro en 1947 est parfois confondu avec le Pacte de Bogota signé en 1948. Cf. Par exemple NGUYEN QUOC DINH, DAILLIER P., PELLET A., Droit international public, Paris, LGDJ, 1999, p. 821.

(3) Il suffit par exemple de consulter les requêtes introductives d ́instance, telles que celle du Nicaragua contre le Costa Rica et le Honduras devant la CIJ en 1986 (en l ́affaire des actions armées frontalières et transfrontalières, Nicaragua contre Costa Rica) ou du Nicaragua contre le Honduras (en l ́affaire du différend territorial et maritime dans la mer des Caraïbes, 1999, Nicaragua contre Honduras); ou celle du Nicaragua contre la Colombie de 2001 ou encore celle du Costa Rica contre le Nicaragua de 2005 (différend relatif à des droits de navigation et droits connexes, Costa Rica contre Nicaragua); ou bien celles du Pérou contre le Chili (différend maritime) et de l ́Équateur contre la Colombie (épandages aériens d ́herbicides) présentées toutes deux en 2008; ou encore celle du Honduras contre le Brésil (certaines questions en matière de relations diplomatiques) en 2009 ; ou finalement, celle présentée par le Costa Rica contre le Nicaragua en 2010 (certaines activités menées dans la région frontalière).

(4) Cf. communiqué officiel du Secrétariat général de l ́OEA disponible sur le site officiel: Cliquez ici !

(5) Cf. DRISH J., « Nicaragua/Colombie: la CIJ rend son arrêt sur le fond dans l ́affaire du différend maritime et territorial », Bulletin Sentinelle, 326 (2 décembre 2012), Société Française pour le Droit international (SFDI). (texte indisponible)

(6) Cf. Opinion individuelle du juge Abraham, jointe à l ́arrêt disponible sur le site officiel de la CIJ : Cliquez ici !

(7) Cf. le communiqué officiel de la Présidence de la Colombie du 28 novembre 2012 disponible sur le site officiel : Cliquez ici !

(8) Cf. notre étude BOEGLIN N., « Le retrait de la Convention américaine relative aux droits de l ́hommepar le Venezuela», 19/09/2012, Le Petit Juriste. Disponible sur le site du Petit Juriste: Cliquez ici !


Source : Sciences Po