lundi 21 janvier 2013

Société Interaméricaine de Presse un monopole réactionnaire

SIP, une menace 
à la liberté d’expression 
et à la démocratie



par Carta Maior - Traduction de Roger GUILLOUX

La 68ème Assemblée générale de la Sociedade Interamericana de Prensa (SIP)[1], réalisée du 12 au 17 octobre 2012 à São Paulo, a montré, une fois de plus, que cette entité qui, en réalité, fonctionne comme un syndicat de propriétaires des grands conglomérats de communication, représente aujourd’hui l’une des plus graves menaces à la liberté d’expression en Amérique Latine. D’ailleurs, la SIP et ses dirigeants ont un état de services bien rempli et solide en matière d’appui à la violation des libertés et aux gouvernements issus de coups d’Etat dans cette région du monde.


La 68ème Assemblée Générale de la Sociedade Interamericana de Prensa (SIP), qui s’est déroulée à São Paulo du 12 au 17 octobre dernier, a montré, une fois de plus, que cette entité qui, en réalité, fonctionne comme un syndicat de propriétaires des grands conglomérats de communication, représente aujourd’hui l’une des plus graves menaces à la liberté d’expression en Amérique Latine.

Cette constatation n’est pas vraiment une nouveauté mais plusieurs coïncidences très significatives ont marqué cette réunion de la SIP à São Paulo. Au moment où les grands patrons qui dirigent cette entité et leurs fidèles acolytes montraient du doigt la « Ley de Medios » du gouvernement argentin, la considérant comme une des plus graves menaces à la liberté d’expression sur ce continent, le rapporteur du projet de l’ONU concernant la Liberté d’Opinion et d’Expression, Frank La Rue, disait, à Buenos Aires, que cette loi était progressiste et pouvait être considérée comme « un modèle pour le continent et les autres régions du monde. » Face à une divergence d’évaluation aussi criante vis-à-vis d’une même loi, on est en droit de se demander où réside exactement la différence entre la SIP et l’ONU.
 
Pour la SIP, la « menace à la presse indépendante » en Argentine peut « déboucher, en décembre prochain, sur un sombre chapitre de son histoire, au moment où le gouvernement envisage de poursuivre son action contre les chaînes audiovisuelles du groupe Clarin, s’obstinant à ignorer les décisions judiciaires et les normes légales. » Le 07 décembre prend fin le délai fixé par la Cour Suprême concernant le recours interposé par le groupe Clarin, recours qui lui a permis ainsi de bloquer pendant trois ans l’application de l’article 161. 


Cet article, dont la finalité est d’éviter les pratiques monopolistiques, oblige les groupes de presse à se séparer des entreprises affiliées dans la mesure où ils dépassent les limites établies par la nouvelle législation.

C’est dans un tel contexte qu’il faut comprendre la préoccupation de la SIP. Ces patrons s’arrangent pour contourner toute limitation légale à la pratique du monopole. Ce que la SIP considère comme une menace, le rapporteur de l’ONU le voit comme une avancée. « Je considère cette loi comme un modèle et j’y ai fait référence au Conseil des droits de l’homme de l’ONU à Genève. Elle est importante car, pour arriver à une liberté d’expression, les principes de diversité des médias et de pluralisme des idées sont fondamentaux », a affirmé Frank La Rue.

Inutile d’insister pour dire que la SIP et les moyens de communication de ses dirigeants ont complètement omis de faire état des déclarations du rapporteur de l’ONU. Les limites d’expression de la liberté de la presse que la SIP défend, recoupent exactement les limites de ses propres intérêts économiques, ni plus ni moins. Pour comprendre la nature de ces intérêts, il est nécessaire de rappeler la propre histoire de la SIP et de ses dirigeants qui, en Amérique Latine, est intimement liée à l’appui aux coups d’Etat militaires, aux renversements de gouvernements constitutionnels, à la violation systématique des droits humains et à la censure. Pour la SIP, il est de la plus haute importance que cette page d’histoire reste cachée mais à chaque fois que l’un de ses dirigeants ou de ses alliés prend la parole, elle revient avec force.

L’éditorial du journal O Globo du 16 octobre 2012 intitulé « Liberté assiégée en Amérique Latine » en est un exemple. Au tout début, l’éditorial affirme que « toute personne moyennement informée sait que la démocratie représentative fait l’objet d’attaques répétées en Amérique Latine, région connue pour ses nombreuses rechutes autoritaires. » Il est vrai que les entreprises Globo[3] s’y entendent ; après tout, elles ont offert d’inestimables services à la dictature brésilienne tout comme l’a fait le groupe Clarin à la dictature argentine. Ce n’est donc pas un hasard si O Globo apporte son soutien à son partenaire argentin, accusant la présidente Cristina Fernadez de Kirchner de vouloir l’obliger à se défaire de nombreuses chaînes de radio et de télévision qui, aujourd’hui font de ce groupe l’un de ces nombreux monopoles existants dans ce secteur en Amérique Latine.

Toute personne moyennement informée sait quel rôle la Globo et d’autres grandes entreprises médiatiques ont joué durant la dictature brésilienne, comment elles ont été complices d’assassinats, de tortures, de disparitions de personnes, de violations des droits humains fondamentaux et de suppression de la liberté de presse et d’expression. La même chose s’est produite avec Clarin et La Nación en Argentine, avec le quotidien El Mercurio au Chili ainsi que dans pratiquement tous les pays de la région. Et plus récemment, la tradition d’appui aux coups d’Etat a refait surface au Venezuela, au Honduras en Equateur et au Paraguay.

La SIP et ses dirigeants, peuvent donc se prévaloir d’un solide CV en matière de services rendus à la violation des libertés en Amérique Latine. Il est donc compréhensible qu’à partir du moment où ce pouvoir commence à être contesté et menacé, ses moyens d’intervention viennent alerter le public du risque « d’une liberté assiégée en Amérique Latine ». Il n’y a qu’une liberté qui est assiégée dans la région, la liberté des propriétaires des grands conglomérats médiatiques qui refusent à la population le droit de la libre expression et un journalisme de qualité.

Journalisme qui d’ailleurs n’est plus l’intérêt central de la SIP et de ses moyens de communication depuis déjà très longtemps. Ce fait a déjà été reconnu y compris par la présidente de l’Associação Nacional de Jornais (ANJ), Judith Brito, qui a admis que les grands médias se trouvaient dans l’obligation d’assurer le rôle d’opposition au gouvernement Lula. ʺCes moyens de communication assument effectivement la position d’opposition dans ce pays, étant donné que l’opposition est profondément fragiliséeʺ affirma la directrice de la Folha de São Paulo en mars 2010. Pour assurer cette fonction, ces médias n’hésitent pas à laisser de côté les valeurs du journalisme.

Comme l’a fait, une fois de plus, le groupe Globo cette semaine qui avait commandé un sondage à l’Ibope[4] pour évaluer les intentions de vote des électeurs de São Paulo pour le second tour des élections municipales. Comme ce sondage mettait en évidence l’augmentation de l’avantage du candidat du PT, Fernando Haddad, sur le candidat José Serra (PSDB), le groupe Globo a tout simplement choisi de ne pas diffuser l’information lors de son principal journal télévisé. La SIP, l’ANJ, leurs dirigeants et leurs entreprises affiliées ont également gardé un profond silence sur les attaques verbales pratiquées par José Serra contre les journalistes y compris contre les leurs. Ce qui est assiégé en Amérique Latine, c’est la possibilité de continuer à appeler de telles pratiques du nom de journalisme.

La cerise sur le gâteau de l’autoritarisme, du cynisme et de l’hypocrisie fut apportée par le nouveau président de la SIP qui, lors du discours de clôture de l’assemblée de cette entité, ne se contentant pas de répéter les discours cités ci-dessus, décida d’attaquer le journaliste australien Julian Assange, fondateur de Wikileaks et qui se trouve actuellement réfugié dans l’ambassade d’Equateur à Londres, ayant déjà reçu l’asile politique dans ce pays. Jaime Mantilla, du quotidien équatorien Hoy, accusa Assange - qu’il qualifia ʺd’individu habileʺ et ʺirresponsableʺ - ʺd’obtenir des informations de manière frauduleuse et de pratiquer une forme de journalisme malhonnête." Les journalistes brésiliens, davantage préoccupés de couvrir les dérapages du nouveau président de la Sociedade Interamericana de Imprensa que pratiquer un véritable journalisme, ont préféré faire l’impasse sur ces déclarations

Les principales cibles de la SIP sur le continent - et de l’ANJ au Brésil - sont donc les suivantes : les politiques contre la pratique du monopole (présentées comme exemplaires par l’ONU), les journalistes comme Assange qui vit aujourd’hui enfermé dans une ambassade pour avoir exposé les secrets militaires de la plus grande puissance de la planète, les lois qui visent à garantir le droit à la diversité d’opinion et à la liberté d’expression. Les faits parlent d’eux-mêmes. N’importe quelle personne moyennement informée sait aujourd’hui que des entités comme la SIP et l’ANJ représentent, de fait, une grave menace à ces libertés et à ces droits dans toute l’Amérique Latine.

Notes du traducteur :

[1]Créée aux Etats-Unis en 1946, la SIP a participé activement à la politique dirigée contre les pays d’Amérique Latine qui ne s’alignaient pas sur la politique nord-américaine. Elle regroupe les grands médias latino-américains fortement marqués par leur engagement politique conservateur, néolibéral et pro-nord-américain.

[2]Ley de Medios. Afin de mettre fin aux situations de monopole dans la presse écrite et audiovisuelle en Argentine, en 2009, le gouvernement de Cristina Kirchner a fait voter une loi limitant le nombre de chaînes de radio et de télévision pouvant appartenir à un même groupe de presse. Clarin, le premier groupe de presse argentin a fait appel et ce n’est qu’en mai dernier que la Cour suprême a mis fin au feuilleton judiciaire obligeant tous les groupes de presse à prendre les dispositions nécessaires avant le 07 décembre 2012 pour se mettre en conformité avec la loi. Devant faire face aux mêmes problèmes, le gouvernement brésilien est actuellement engagé dans une refondation de la législation actuelle, législation qui date de l’époque de la dictature.

[3]Le groupe de médias Globo est le premier groupe d’Amérique Latine (il est plus important que le groupe Televisa du Mexique) et le deuxième au niveau mondial. Présent dans la presse écrite, la radio et sur Internet, c’est dans l’espace de la télévision ouverte qu’il a le plus grand impact, disposant de 5 chaînes propres et de participations dans plus de 110 chaînes locales.

[4]Ibope : première entreprise brésilienne de sondages


Source : Autres Brésil