dimanche 11 novembre 2012

Hugo Chavez, illusion sur un "socialisme" petit-bourgeois ?

Venezuela :
Le chavisme, une révolution sans révolution ?
Réponse à Marc Saint-Upéry...

Par Lionel Mesnard

Ce nouvel entretien avec Marc de Saint-Upéry est un nouveau pavé dans la mare du chavisme. « Une révolution sans la révolution » pose la même appréhension, que j’ai pu avoir lors de mon premier séjour à Caracas en 2004, puis en 2006 où la prise de distance est devenue plus que nécessaire.  Je peux écrire, que je partage la grande majorité des propos de Marc Saint-Upéry, pour tout ce qu’il a pu mettre en relief dans cet article et notes annexes . Il confirme par ailleurs, qu’il existe des chavistes sincères et pour certains en butte à l’autoritarisme du pouvoir. Quand il faudrait même parler de criminalisation de l’action syndicale.

Dérive du pouvoir, auquel j’ai été confronté dès la fin 2004, quand il a fallu remettre au pas, une équipe pédagogique dans des circonstances un peu curieuses et avec des méthodes bureaucratiques tout bonnement scandaleuses, notamment par le non-paiement des salaires des instituteurs ou bourses d’aides pourtant prévues à cet effet. (lire Marc Saint-Unpéry sur à l’Encontre)

Ce qui suit vous donnera une idée ou un témoignage de quelque chose de non seulement vécue mais aussi un petit bout d’histoire de ce qui aurait pu être un petit bout de « révolution »,dans la pseudo révolution bolivarienne. Cette histoire s’est déroulée et s’est articulé en particulier autour de l’école Juan Bastita Alberdi.

Lire ce texte datant du 25 janvier 2005 et de la désignation de force d’une nouvelle directrice, cliquez ici !

Cette question salariale ou pécuniaire servit à l’époque de pression contre le collectif, qui depuis plus d’un an faisait tourner l’unique établissement scolaire du quartier. L’école avait été proprement été laissé à l’abandon parce fermé par l’ancien maire Alfredo Pena (maire du district jusqu’en octobre 2004) ; et où certains prirent au pied de la lettre la nature révolutionnaire du message du président Chavez. 

Les parents et les enfants de Manicomio (1) investirent l’école et la rénovèrent du sol au plafond. Des militants, la plupart furent des bénévoles et y compris un nid de français et d’internationalistes, qui avaient pris souche dans le quartier autour de cette entreprise audacieuse.

Beaucoup d’habitants du quartier de Manicomio (environ 4.000 âmes) y sont allés de leur contribution où beaucoup trouvèrent des aides ou ce que l’on dénomma les missions (médicales, scolaires - pour tous âges – activités culturelles et sportives, et une restauration collective assurant au moins deux repas aux enfants scolarisés – en maternelle et primaire) qui manquaient outrageusement à l’un des quartiers les plus miséreux de la capitale vénézuélienne. 

Ce fut en quelque sorte le début de la caporalisation, de la mise au pas de ceux qui ne disaient pas amen à tout. Et en particulier aux dérives bureaucratiques dont ils devinrent les victimes.

Un peu par hasard,mais pas tant que cela (2), c’est juste après mon départ en janvier 2005 de l’école Juan Bautista Alberdi et de Caracas, que le tour de vis se fit plus sévère en des violences physiques sur un des responsables de l’école autogérée. Ce sera la fin de cette expérience et plus largement de ce qui pouvait sortir des nouveaux canons chavistes, comme la fermeture, quelques semaines après de la seule radio alternative des ondes de la capitale ou non gouvernemental, la fermeture d’Alternativa se déroula en 2005 à Caracas, seul RSF Amériques en fit mention. 

La centralisation à outrance de tout ce qui pouvait se réclamer des propos présidentiels et de son entourage n’a jamais vraiment aidé ceux qui ont cherché une voie alternative, ils ont été dans le meilleur des cas remerciés ou sans subsides pourtant promis.

Plusieurs français ou internationalistes présents à Caracas ont été témoins de comment la Mairie d’agglomération de Caracas, et son nouveau maire de l’époque, Juan Barreto, ont agi sur ce qui avait été une des vitrines du chavisme : une école autogérée d’un quartier pauvre de la Capitale, l’école J-B Alberdi. Le tout se finira par des excuses venant du maire sur la télévision communautaire locale Catia Tv, suite à une gifle qu’il administra à un membre actif du collectif local. Il en résultera au moment de l’élection des responsables locaux une défaite du proche de Juan Barreto et la victoire du harcelé…

Le double discours devint pour moi une évidence, quand par ailleurs l’ancien maire chaviste du grand Caracas (le district fédéral), Juan Barreto en 2005 vint défendre un socialisme aux couleurs de Proudhon à Paris. Quand déjà était en œuvre, ce que dénomma en son temps, Marc de Saint-Upéry, la boli-bourgeoise ou la nouvelle bourgeoisie bolivarienne, et son corollaire la corruption. Le tout passant inévitablement par l’édification d’une nomemklatura aux accents de Cuba et des travers népotiques.

Il est clair qu’il faut en finir avec les complaisances partisanes, et de faire de la critique un outil citoyen très utile dans cette mélasse généralisée des gauches. S’il n’y avait qu’une chose à retenir de Marx et non des marxismes, il était de l’usage de la critique comme outil de lutte contre le système d’exploitation capitaliste, qu’il soit d’Etat ou Néolibéral. Pour en dénoncer le cynisme et surtout les mécanismes pervers à l’encontre des salariés vendant leur force de travail, pire à l’encontre des déclassifiés du système, les jeunes et les plus précaires de tous âges et de tous pays.

La machine est en panne, bon nombre de repères politiques ont explosé et ne tiennent plus la route. Cette crise militante et intellectuelle participe du vide actuel de la sociale démocratie, et de « la gauche de la gauche », l’expression la plus idiote que l’on ait pu inventer ces dernières années.

Aucunes des deux jambes de la gauche ne sont en mesure d’avancer la moindre idée « révolutionnaire », du moins d’agir en faveur d'une transformation radicale de la société. Ils ne sont pas non plus en mesure de régler la crise systémique, encore moins ce qui relève d’une large prise de conscience sur les dégâts à venir de l’Humanité. L’alternative par le haut, ça ne marche pas, il reste à tout prendre par le bas, par un réveil des consciences, et de ne pas prendre nos vessies pour des lanternes.

Où est la gauche a-t-on envie de manifester que l’on soit à Caracas, Quito, Managua, La Havane, et Buenos-Aires, et ici même en Europe, qu’elle soit révolutionnaire ou pas ? C’est un peu tout le problème. Doit-on s’asseoir sur les décombres, et de se contenter d’observer les dérives toujours bureaucratiques ? Pour ceux qui n’arrivent pas à distinguer l’Universel de la chose, manifestement, soit il non jamais lu Marx, soit ils n'ont toujours pas intégrés, l’idée d’émancipation que concevait ce dernier à l’échelle planétaire et pour tous et non pour une caste de nouveaux privilégiés.

Oui, Marc Saint-Upéry a raison de marquer que tout n’est pas uniquement « bourgeois » et qu’il existe des fondamentaux à gauche, en premier le droit, et vouloir l’appliquer au Venezuela demande plus que de la patience ou « d’attendre Godeau », quant à tous les échelons de la société, la résignation est presque totale, ou que l’on s’en accommode.

L’important est de ne pas se faire avoir par tous ces contenus faussement idéologiques, qui se drapent dans un socialisme démocratique, qui n’a pas lieu, et qui est une insulte à la raison et au sens critique. Le pouvoir bolivarien n’a pas voulu tenir compte des 'cassandres' qui à gauche pointaient les déséquilibres, notamment un trop plein centraliste, dans un pays fondamentalement construit sur des bases fédéralistes.

 Où l’armée donne de plus en plus le sentiment d’être la réserve des aspirations politiques du pays. Tout cela pourrait nous renvoyer à De Gaulle dans l’exercice du pouvoir en 1958.

Les Vénézuéliens rêvent d’ordre, du moins le bolivarisme dans sa version chaviste est un leurre nationaliste et bourgeois de plus, mais silence des camarades qui ont oublié certaines bases historiques, (ne se limitant pas à la nation), à moins de les confondre avec le coeur du problème, l’émancipation du prolétariat ne peut être que l’œuvre de ce même prolétariat. Et difficile dans ce cas de ne pas constater que le chemin est encore long et que l’oeuvre de Marx n’a de caduque, que la prose de ceux qui ne font que l’usurpée depuis au moins le début de 20ème siècle.

Le "communisme" n’est pas mort dans son essence, il reste tout simplement à être réinventer, ou du moins, le penser en d’autres termes sur le pouvoir et le travail, à moins de vouloir mentir sur les étapes parcourues par le socialisme petit-bourgeois de Chavez. Certains ont fait le choix d’une mascarade, qu’il était temps de mettre à jour. 

Et qui peut avoir parfois des relents très nauséabonds.

Notes :

(1) En langage populaire en Amérique Latine « Manicomio » signifie : la maison des fous ou l’asile psychiatrique.

(2) Si vous souhaitez lire des articles sur le Venezuela, je vous conseille de commencer par le début avec ce texte que je fis après mon premier séjour. Cliquez ici !


Photos de l’école Alberdi – CARACAS 2004 – de J.M HARRIS