jeudi 8 novembre 2012

Cuba, quand le modèle d'une éducation autoritaire s'effrite ?

A Cuba 
tout le monde 
n’a pas le droit d’étudier



par Verónica Vega (*)

Verónica Vega est une jeune auteure cubaine. Elle avait présenté à Paris, l’an dernier à Paris un livre « Partir un point c’est tout » (regarder la vidéo en bas de page). Dans cet article, c’est un aspect de la société cubaine, l’éducation, normalement le point fort du régime, qui se voit un peu malmener. Le fait que deux jeunes gens refusent de se couper les cheveux peut sembler anecdotique et pourtant des changements de société peuvent non pas s’opérer sur le seul biais d’une coupe de cheveu, mais à partir de petits détails sociétaux s’accumulant.


Notamment le refus de l’ordre peut être annonciateur de transformation. Il va de soit que la société cubaine réagit ou se vit bien loin d’un cadre imposé et dogmatique, et ne doit pas connaître seulement deux « chevelus » contestataires. Une telle contestation de ce qui uniformise est rafraîchissante, pour ne pas dire plein d’innocence. Et il y a de quoi se demander si le régime castriste n’a pas quelques cheveux blancs (de plus) à se faire ? (notes de Libres Amériques).

Je ne dis pas cela pour faire un titre accrocheur, c’est la conclusion à laquelle sont arrivés les parents de deux adolescents après un dialogue infructueux avec l’actuelle directrice municipale de l’éducation à Habana del Este, parce que nos enfants Kabir et Sebastian se sont vus refuser l’accès à leur propre école, jour après jour. La raison ? Ils n’acceptent pas de se couper les cheveux selon le critère esthétique exigé par la directrice du lycée Lazaro Peña, à Alamar, soutenue par une norme dictée par l’actuel ministre de l’Education.

Selon les propres mots de Leticia, la directrice municipale : « L’ESTHETIQUE EST MÊME PLUS IMPORTANTE QUE LA DIGNITÉ ».

Ce fut sa réponse quand nous lui avons dit que nos fils choisissaient d’être sincères et dignes et de ne pas se soumettre à la peur du canon machiste (et anticonstitutionnel) et qu’ils défendaient leur droit à ne pas être discriminés, étant donné que les filles peuvent porter les cheveux comme elles le souhaitent tout en portant l’uniforme scolaire (obligatoire à Cuba).

Le règlement imposent aux élèves garçons une règle de plus : « avoir les cheveux correctement coupés et être correctement rasés ».

Que le terme « correct » soit relatif et n’apparaissent dans aucun article légal ne semble pas importer beaucoup aux fonctionnaires de l’Education, qui ont (selon ce que nous a dit la directrice municipale) reçu oralement, lors de réunions internes, une définition concrète de ce qui serait « correct » : la coupe militaire, alors que dans aucun document n’est spécifié le nombre de centimètres permis aux pauvres garçons, que la nature a apparemment mal doté de cheveux qui ne cessent de pousser.

Parmi les arguments mentionnés par les parents des adolescents se trouve la citation suivante de la convention des droits de l’enfant, que Cuba a signé (sans réserves) depuis 1991 : Les Etats parties prenantes prendront les mesures nécessaires pour veiller à ce que la discipline scolaire soit organisée de façon compatible avec la dignité humaine de l’enfant et en conformité avec la présente convention ».

Et les quatre parents ont signé une lettre avec les arguments juridiques correspondants, qui a été présenté au Conseil d’Etat et envoyée à Cubadebate (NdT : site d’information du gouvernement). Celle-ci inclut : « La Constitution de la République, dans son chapitre VI Egalité, établit en son article 42 que toute discrimination pour cause de race, couleur de la peau, sexe, origine nationale, croyances religieuses et toute autre chose qui lèserait la dignité humaine est proscrite et sanctionnée par la loi ».

Et dans l’article 43 : L’Etat consacre le droit conquis par la Révolution que les citoyens, sans distinction de race, couleur de la peau, sexe, origine nationale, croyances religieuses et toute autre chose qui lèserait la dignité humaine bénéficient de l’enseignement dans toutes les institutions scolaires du pays, de l’école primaire à l’université, qui sont les mêmes pour tous. »

Tandis que l’inertie institutionnelle apporte son soutien à un préjugé (illégal), deux mineurs, qui souhaitent continuer à progresser, sont frustrés dans leur intention et dans leur droit légitime. Ils sont humiliés publiquement chaque matin à l’école même où ils sont censés étudier. Et pourtant la direction de l’école, sur ordre du ministère de l’Education, a recours à une manœuvre qui consiste à les menacer de les exclure sous prétexte d’ « absences injustifiées », alors que ces absences sont de la responsabilité directe de l’école.

La directrice municipale dit « être sérieusement préoccupée par le fait que ces enfants n’aillent pas en classe », elle a demandé à s’entretenir en privé avec eux et pendant cette conversation leur a demandé (et a même noté leurs réponses) ce qu’ils considéraient comme plus important : « les études ou les cheveux… »

Aucune institution ne peut obliger un citoyen à choisir entre deux droits fondamentaux, dans ce cas, les études ou l’égalité. La situation est aggravée par le fait qu’il s’agit de deux mineurs, auxquels ce stress prolongé cause des problèmes émotionnels et physiques : insomnie, anxiété, anorexie, problèmes digestifs, insécurité…Ils n’ont pas pu entrer une seule fois dans leur actuel lycée où ils devraient être en première. Ils ne connaissent pas leur sale de classe et on a même refusé de leur fournir le matériel scolaire.

La direction du lycée « Lazaro Peña » qui se préoccupe tant de l’uniformité des têtes de ses élèves garçons, surtout quand il y a inspection, et considère comme scandaleuse la rupture de cette esthétique par deux élèves aux cheveux longs, ne paraissent pas se préoccuper beaucoup du fait qu’il est bien plus scandaleux de priver deux mineurs de leur droit inaliénable aux études, tant promu et acclamé par la Révolution. Un droit que ne perdent même pas les prisonniers.

Bien sûr nous irons à l’UNICEF et à n’importe quelle institution, nous utilisons tous les moyens possibles pour dénoncer cette injustice. Et nous sommes sûrs que pour nos enfants cette lutte pour leurs droits est bien plus instructive que de suivre de façon docile et hypocrite une règle sexiste que si peu paraissent vouloir remettre en question, peut être parce qu’ils sont assommés par les difficultés de la survie.

Mais survivons nous ? Ou bien mourrons-nous petit à petit en solidifiant les ciments d’une société ultraconservatrice et exclusive où jamais nous ne pourrons bénéficier de « l’entière égalité et de l’entière liberté », alors même que ce concept de la Révolution de Fidel est inscrit ou accroché partout sur les murs des écoles et des bureaux de Cuba.

 Textes en castillan :

Lire la version originale sur le site de Havana Time

Lire un texte en relation avec Kabir Vega Castellanos



 Partir un point c'est tout - VERONICA VEGA  (durée 11 minutes)


Un document vidéo sur Cuba et la ville d'Alamar… (11 minutes). "Roman de l'exil, vécu de l'intérieur."(Revue Technikart). Une initiative de la librairie "EL SALON DEL LIBRO" à Paris. 
Traductions du livre et de V. Vega par Christilla Vasserot.


Sources : article traduit et photos de Polemica Cubana
vidéo de Pantuana TV