samedi 3 novembre 2012

Colombie, l’ELN veut rejoindre le dialogue de Paix

 L’autre guérilla colombienne pourrait rejoindre le dialogue de paix

Par Benito Perez

Entretien avec Nicolas Rodriguez, 
commandant de l’ELN

L’Armée de libération colombienne (ELN) espère rejoindre le processus de négociations ouvert par les FARC et le gouvernement, annonce le commandant Gabino. Le processus de paix colombien, débuté il y a quinze jours à Oslo, entre le gouvernement et les Forces armées révolutionnaires (FARC) paraît encore bien fragile. L’arrivée de l’Armée de libération nationale (ELN) dans le jeu donnera-t-elle l’impulsion décisive ?

Dans cet entretien au Courrier, Nicolás Rodríguez Bautista, commandant de la seconde guérilla du pays, déclare la volonté de son mouvement de rejoindre une table de négociations commune à l’Etat, aux FARC, à l’ELN, mais aussi à la société civile, autre oubliée du processus en cours.

Membre de l’ELN depuis son origine en 1965, «Gabino» a succédé en 1998 au prêtre Manuel Pérez à la tête du mouvement révolutionnaire armé. Egalement implantée dans les villes, l’ELN a subi une forte érosion durant les années 2000 dans ses quelques bastions ruraux. Elle compterait toutefois encore plus de 2500 guérilleros actifs dans ses rangs et autant de miliciens, contre quelque 9000 pour les FARC.

Après des années de tensions, les deux rébellions communistes sont entrées dans un processus de concertation et de non-agression. A fin octobre, l’ELN se joignait à la demande des FARC, proposant au gouvernement un cessez-le-feu comme prélude à un engagement partagé vers la paix.

Le Courrier : Les FARC viennent d’entamer un dialogue avec le gouvernement. Quelle est la position de l’ELN face à ce processus?

Nicolás Rodríguez Bautista : Nous saluons l’installation de cette table de dialogue et nous souhaitons plein succès à cet effort engagé par deux des parties en conflit dans la recherche de la paix pour la Colombie.

Etes-vous en contact avec le gouvernement pour ouvrir à votre tour un tel dialogue?

Lorsque le président [Juan Manuel] Santos a annoncé [en août] l’existence de conversations avec les FARC, il a publiquement invité l’ELN à discuter. Je peux vous assurer que nous en avons pris note. Cela fait plus de vingt ans que nous avons signifié notre ouverture à chercher une sortie non violente au conflit social et armé de Colombie. La disposition du gouvernement à répondre à cette demande de l’insurrection et de divers secteurs de la société colombienne est bienvenue.

L’ELN pourrait-elle rejoindre rapidement la table de dialogue ouverte entre gouvernement et FARC? Quelles sont vos relations aujourd’hui avec ces dernières?

Il est possible et souhaitable, à terme, que les discussions que nous mènerions avec le gouvernement convergent avec celles menées par les FARC. Ce serait un pas important.
Nous coïncidons sur presque tous les points de l’agenda et des objectifs de dialogue proposés par les FARC. De même que nous avons des motifs de lutte et des objectifs similaires, comme le démontre notre récente déclaration commune.

Quelles conditions techniques, politiques et militaires posez-vous pour rejoindre ce processus?

Je n’entrerai pas dans les détails, il faut être pragmatique.

Le gouvernement refuse un cessez-le-feu. Mais vous, êtes-vous prêts, par exemple, à libérer vos prisonniers et à renoncer définitivement aux enlèvements (1) pour ouvrir le chemin au dialogue?

Le maintien d’un soulèvement armé est très coûteux, malgré les conditions modestes dans lesquelles nous supportons, depuis presque un demi-siècle, le permanent assaut de l’armée la plus nombreuse et sanguinaire du continent. C’est pourquoi nous ne pouvons renoncer à cette source de financement. A moins qu’une table de dialogue mène à un accord qui permette justement ces changements sans attenter à notre maintien et à notre sécurité.

Sur la question des détentions (retenciones), je dois éclaircir une chose: de nombreuses bandes criminelles, les paramilitaires et les agents de l’Etat commettent des délits sous la couverture de l’insurrection. C’est notamment le cas de détentions, ce qui explique que les chiffres attribués à l’ELN n’ont aucune base réelle.

Exigez-vous la participation des organisations populaires aux discussions?

Nous pensons qu’un processus de paix ne pourra réussir que s’il fait participer les secteurs sociaux, principalement populaires et de la classe moyenne qui ne se sentent pas représentés par le gouvernement, car l’essence du conflit colombien n’est pas dans l’existence d’une rébellion armée. Il a des dimensions économique, politique et éminemment sociale. L’injustice, la répression et les inégalités sont à l’origine du soulèvement armé d’importants secteurs de la jeunesse colombienne, durant les années 1960.

Aujourd’hui, la Colombie est, après Haïti, le second pays le plus inégal du continent et ses institutions sont parmi les plus corrompues. La majorité des morts violentes ne sont pas le produit du conflit armé mais provoquées par la délinquance et la violence sociale généralisée. A la campagne, l’Etat n’a pour seule présence que ses forces répressives. C’est la seule réponse offerte au mécontentement populaire.
 
Les réformes du président Santos sont davantage de la publicité qu’une réalité. La crise que vit la Colombie est profonde et multiple. Le tissu social a été très affecté, on a besoin d’une sortie consensuelle, c’est l’unique garantie de paix. D’où l’importance d’une implication de la société comme l’ont réclamé les organisations populaires et sociales en octobre.


Le dialogue peut-il devenir négociation et ouvrir le chemin de la paix?

C’est notre vœu et la clameur qui unit presque tous les Colombiens. Cependant, il reste de nombreuses difficultés, comme les abyssales différences entre ce que signifie la paix pour l’oligarchie et son gouvernement ou pour l’insurrection. Eux veulent la démobilisation et le désarmement, et que rien d’autre ne change dans le pays. De son côté, l’ELN cherche un chemin vers la justice, l’égalité sociale, la démocratie et la souveraineté. Il faut des transformations substantielles qui résolvent les causes du conflit.

Si un chemin s’ouvre afin que le peuple puisse atteindre ses revendications par la voie politique, sans qu’on l’assassine, qu’on l’emprisonne, qu’on l’expulse de ses territoires ou du pays, arrivera le moment où les armes seront en trop car personne ne préfère la lutte et la résistance armées si les objectifs se remplissent pas les voies institutionnelles. Mais si le gouvernement persiste à demander le désarmement, le processus peut échouer; l’oligarchie ne peut prétendre obtenir à la table ce qu’elle n’a pas eu en quarante-huit ans de guerre.

Etes-vous optimiste?

Nous savons que la paix que veut l’oligarchie colombienne est la tranquillité et la sécurité de continuer à imposer sa domination qui lui permette d’accumuler davantage de richesses. Pourtant, nous sommes disposés à relever le défi du dialogue et de la recherche d’un point de convergence.

Vous imaginez-vous parvenir au pouvoir par les urnes d’ici à dix ans?

Nous ne nous hasardons pas à ce type de calculs, ce serait précipité.


Quelle justice pour les victimes?

Sans justice, il n’y a pas de paix possible: comment juger les crimes des différents acteurs en conflit?

Notre dernier congrès a ratifié le droit des victimes à connaître la vérité, la justice et la réparation. Selon nous, l’Etat ayant l’obligation de garantir la sécurité des citoyens, c’est sur lui que retombe la principale responsabilité des violations. Ce d’autant plus qu’une pratique systématique de terrorisme d’Etat a été constatée par des centaines d’organisations des droits humains. Il est prouvé que ce même Etat est à l’origine du paramilitarisme comme machine à assassiner l’opposition politique. Le fait qu’il y ait une centaine de membres du Congrès colombien inculpés pour leurs relations avec ces activités criminelles, de même que des militaires, policiers et entrepreneurs, corrobore mes affirmations.

Nous avons reconnu publiquement des erreurs qui ont coûté la vie à des civils; mais nous répétons: ce furent des erreurs individuelles et non une politique ayant pour but de causer du mal à la population car, par essence, nous luttons pour ses intérêts. Notre action militaire est dirigée, dans le cadre du droit international humanitaire, contre des forces armées et policières qui nous pourchassent et nous combattent (2).

Concrètement, que faut-il pour que l’ELN renonce aux armes?

J’insiste: s’il existait, en Colombie, des garanties que le combat politique des masses puisse atteindre des objectifs, la lutte armée n’aurait aucun sens. Mais ce n’est pas le cas et cela ne changera pas avec un simple décret. Malheureusement, les expériences du passé sont mauvaises, ceux qui ont signé des accords de paix ont été assassinés (3). Or aujourd’hui le paramilitarisme et le terrorisme d’Etat demeurent une réalité. Du coup, on ne voit pas quelle garantie peut offrir le gouvernement.

Pourquoi dans ces condition imaginer que la paix soit aujourd’hui possible? Est-ce l’effet de l’affaiblissement des guérillas? Juan Manuel Santos est-il un homme en qui avoir confiance?

Le président Santos est un fidèle représentant de la classe dominante colombienne. C’est un ennemi du peuple et des révolutionnaires, mais un tel dialogue se mène entre adversaires non entre amis... Et si nous sommes si faibles que le dit le gouvernement, pourquoi la Colombie a-t-elle l’armée la plus nombreuse et la mieux équipée d’Amérique latine? 


Notes :

1.  Pour l’ELN, les activités économiques extractives, notamment liées au capital étranger, sont des «objectifs militaires». L’extorsion et l’enlèvement de cadres des entreprises sont une des sources de financement de la guérilla. La fondation País Libre lui attribue sept enlèvements réalisés durant les trois premiers mois de l’année en cours contre une septantaine au crime organisé. La police colombienne parle, elle, de quatorze personnes actuellement en mains de l’ELN.

2. Amnesty International accuse régulièrement l’ELN de «graves atteintes aux droits humains et des violations du droit international humanitaire», dont des homicides illégaux, des prises d’otages et l’enrôlement de mineurs, mais dans des proportions moindres que les autres acteurs armés.

3. L’UP, mouvement issu d’un processus de paix entre guérilla et gouvernement, fut décimé à la fin des années 1980. La campagne d’extermination fit plus de 4000 morts.


Source : Propos recueillis par Benito Perez