lundi 24 septembre 2012

Pérou, menace pétroliére sur l'eau d'Iquitos en Amazonie

La prospection pétrolière menace les ressources en eau d’Iquitos

La rivière Nanay près de la ville d’Iquitos (photo ci-contre)

Par Juan Arellano

Iquitos est une ville amazonienne stratégiquement située sur les berges des rivières Nanay et Itaya et celles de l’imposant fleuve Amazone. De plus, la ville bénéficie d’un climat tropical aux pluies abondantes. Alors que l’on pourrait croire qu’une ville comme Iquitos ne devrait pas avoir de problèmes d’approvisionnement en eau potable, la réalité est bien différente.

Sedaloreto, l’entreprise municipale chargée de la gestion de l’eau de la ville, n’a pas toujours bien rempli son rôle. Même si plusieurs réservoirs et une nouvelle station de traitement et de distribution ainsi que d’autres travaux d’entretien et d’agrandissement ont été réalisés ces dernières années, cela n’a pas suffi à couvrir correctement les besoins en eau de la ville. De plus, certains des contrats signés pour réaliser ces travaux ont été mêlés à des affaires de corruption.

Les principales prises d’eau de Sedaloreto sont situées dans la rivière Nanay et ne peuvent pas, en période de pénurie, capter le volume d’eau nécessaire à la consommation d’Iquitos. Mais ce n’est pas tout. En 2010, le chercheur José Álvarez Alonso expliquait l’origine des ressources en eau approvisionnant la ville : 

Iquitos est particulièrement sensible à la sécheresse car le Nanay, source d’approvisionnement de la ville, naît sur le plateau amazonien. Il n’y a donc pas de sources souterraines et la pluie est la seule source d’eau. Si la forêt est endommagée ou détruite, Iquitos subira les conséquences des attaques perpétrées contre cet élément vital.

Álvarez expliquait aussi en détail l’interaction entre la forêt amazonienne et les eaux de la rivière :
  
La forêt amazonienne fonctionne comme une usine de pluie – jusqu’à 50 % des pluies viennent de l’évapotranspiration de la forêt – et les 25 % qui proviennent des nuages issus de l’Atlantique ne se condenseraient pas sans la forêt. Cette dernière agit comme une éponge : elle permet à l’eau de pluie de s’infiltrer jusqu’au sol et de façon progressive grâce à son feuillage. Là où la forêt a été détruite, les pluies emportent tout sur leur passage en provoquant des glissements de terrain, des inondations et la pollution des cours d’eau, alors que l’absence de précipitations pendant quelques jours suffit à assécher le lit d’une rivière.

En avril 2012, plusieurs citoyens et organisations civiles d’Iquitos ont formé le Comité de défense de l’eau et ont rédigé la Déclaration d’Iquitos, qui demandait aux autorités le respect de la loi et la transparence en ce qui concerne les documents et les contrats de prospection d’hydrocarbures en vigueur. La déclaration invitait aussi tous les habitants de la région de Loreto à s’informer à ce sujet et à diffuser cette information. En outre, la déclaration faisait référence aux menaces spécifiques pesant sur le bassin de la rivière Nanay:

Depuis les années 90, une des principales menaces planant sur l’approvisionnement en eau de la ville d’Iquitos a été identifiée en constatant que les dragues travaillaient à la prospection et l’exploitation aurifère dans le bassin du Nanay. Actuellement la situation s’aggrave avec la concession de l’exploitation d’hydrocarbures à ConocoPhillips pour l'exploitation de pétrole en tête du bassin versant de la rivière Nanay.

Ensuite, la déclaration signalait que la compagnie pétrolière ConocoPhillips avait déjà déboisé 180,74 hectares et provoqué 15 560 détonations à la dynamite (tous les 50 m) sur 22 lignes sismiques pour obtenir les données nécessaires à la prospection sismique.

Au mois de mai, Amazon Watch a transmis les doutes exprimés par la population d’Iquitos à l’assemblée des actionnaires de ConocoPhillips à Houston, Texas. En outre, le rapport d’Amazon Watch cite  l’affirmation du biogéochimiste Bob Stallard: « les écoulements d’eau de production et de déchets associés au forage peuvent endommager la source d’eau potable que représente le Nanay».

Au mois d’août dernier, ConocoPhillips a présenté ses plans d’abandon des lots 123 et 129, ce qui ne veut pas dire que la prospection soit terminée, mais plutôt qu’elle passe à un autre niveau. Comme l'explique le professeur José Manuyama du Comité de défense de l’eau lors d’une interview pour le site Programme de défense des droits indigènes (PDDI pour les sigles en espagnol):

Jusqu’à maintenant, selon les plans d’abandon présentés par ConocoPhillips elle-même au ministère de l’Énergie et des Mines, l’impact sur la zone de captage et la tête du bassin versant est déjà considérable pour cette zone à haute sensibilité environnementale. 

Presque deux ans de prospection sismique, une des moins néfastes selon quelques connaisseurs, sont synonymes de baraquements, héliports, déboisement, détonations sur les lignes sismiques tous les 50 m à 15 m de profondeur sur des centaines de kilomètres.
 
Manuyama commente que l’on peut logiquement penser que bien que Conoco elle-même mentionne le degré de l’impact écologique sur la forêt, l’impact réel est probablement beaucoup plus important. 


Et il ajoute parmi d’autres remarques alarmantes : 

Le plan en question n’indique ni la quantité ni le volume des déchets solides dangereux et non dangereux, ni comment ils ont été traités.  

Sachant que les lignes sismiques ont coupé plusieurs étendues d’eau, l’impact dû à l’augmentation de l’érosion, la sédimentation ou la déstabilisation des berges qui ont pu affecter les zones de frai des poissons et de ponte des chéloniens n’a pas été mentionné.  

En ce qui concerne les zones déboisées (33,1 ha), les zones et les volumes reboisés ne sont pas mentionnés, sachant que toute altération d’importance sur la couverture végétale met en danger la qualité et la quantité des ressources hydriques.

À la vue de ce document et sachant que ConocoPhillips a sollicité les permis de forage d’exploration de 48 puits pétroliers, le Comité de défense de l’eau a publié une déclaration qui, entre autres choses, réclame un audit international indépendant et demande au gouvernement régional « d’émettre une nouvelle ordonnance déclarant la zone intangible, dans le but de pouvoir bénéficier d’un cadre légal pour défendre le bassin du Nanay ».

De nombreuses marches de contestation ont eu lieu ces derniers mois à Iquitos. Et le Comité de défense de l’eau est aussi en train d’obtenir la participation d’autres organisations de la région pour augmenter la mobilisation autour de ce problème.

Le défenseur du peuple a pris bonne note des derniers faits et a inclus dans la liste des conflits socio-environnementaux les contestations concernant « les impacts environnementaux négatifs susceptibles de se produire sur une zone considérée tête de bassin versant, riche en biodiversité et source d’approvisionnement en eau de la ville d’Iquitos ». Le défenseur du peuple a décrit la situation actuelle du conflit comme une « absence de dialogue »  et a désigné « le gouvernement régional de Loreto, le Comité de défense de l’eau, Perupetro, le ministère de l’Énergie et des Mines, la compagnie ConocoPhillips, l’ONG Alianza Arcana, l’ONG Amazon Watch » comme acteurs du dialogue à instaurer.

Ce billet est la première partie d’une série de trois 
concernant la problématique de l’eau dans la ville d’Iquitos au Pérou.


Sources : article publié le 21/09/2012 par Global Voice
Billet publié à l’origine sur le blog personnel de Juan Arellano 
Ecrit par Juan Arellano · Traduit par Florence Veillon
Photo 1 de Pierre Pouliquin sur Flickr et utilisée